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Les cent premiers jours de Léon XIV : un sans faute ?

Léon XIV parle moins, Léon XIV parle selon les formes, Léon XIV parle de Dieu. Tout le monde respire, même si Léon XIV n’a pas encore défait l’œuvre de François. Pape discret qui préfère tempérer, il a choisi sans doute le temps de l’Église plus que celui du monde.

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Les cent premiers jours de Léon XIV : un sans faute ?

Le 8 mai dernier, le monde entier découvrait la tête du nouveau pape qui, dès ses premiers gestes, se singularisa par rapport à son prédécesseur. Mais à ce stade il demeurait encore difficile de dire ce qu’il en irait du nouveau pontificat étant donné que l’intéressé cochait différentes cases du fort complexe cahier des charges du Collège des cardinaux : un homme de terrain, mais ayant l’expérience de la Curie, un pasteur, mais un docteur, etc. Aujourd’hui, on peut noter des changements qui n’ont rien d’anodin, que ce soit dans les thématiques, dans l’usage de la parole et même dans un style qu’il commence à imprimer. On redoutait ou espérait un François II ou un anti-François mais Léon XIV, plus réservé et plus discret, n’a pas voulu tomber dans le piège de l’« après » où le nouveau titulaire est immédiatement jaugé par rapport à ce que faisait le prédécesseur. Et cela semble fonctionner.

Un usage prudent de la parole

Quand Léon XIV parle, il utilise surtout les « vecteurs » classiques auxquels un pape recourt : homélies, discours, allocutions, mais aussi des instruments comme l’Angélus. Le pape évite les mots faciles prononcés au détour d’un entretien dans la presse ou auprès d’un cénacle de journalistes friands d’écouter la « dernière ». Léon n’a pas encore voyagé, mais on note qu’il se tient à distance du monde journalistique. Et surtout, le pape colle davantage au contenant, ce qui permet d’éviter les propos cinglants ou intempestifs. Quand on prêche, c’est justement pour prêcher. Ce qui permet de prêcher juste. On reste conscient que le format exige une certaine retenue et qu’un pape ne peut dire n’importe quoi. D’où le fait que Léon évite le parler « cash » ou les phrases chocs qui avaient pollué l’atmosphère du pontificat précédent au point de multiplier les polémiques, dont certaines étaient malvenues ou inopportunes. Le pape ne parle pas de manière mondaine et ne tombe pas dans ce jeu pervers de l’attente de l’opinion publique qui a besoin d’être continuellement nourrie par des mots dissonants ou inhabituels. Cette réserve caractérisée par une parole empruntant des filtres convenus n’empêche pas le pape de parler clairement et de revenir sur certains thèmes ecclésiaux comme la défense de la vie ou le souci d’une liturgie plus priante. On se doute qu’à l’avenir le pape sera davantage sollicité par des moyens plus modernes, mais on peut quand même constater son souci de ne pas s’identifier à un vacarme de propos tonitruants.

Le style, c’est l’homme

Le grand risque du pape Léon XIV aurait été, une fois son élection rendue publique par la fumée blanche, de polariser en accumulant des gestes et des postures qui, inévitablement, auraient été disséqués pour en détecter le message. Ainsi, Léon ne s’est pas mis à renouveler immédiatement les postes à la Curie. Les préfets des Dicastères sont encore ceux de l’ère François. Il y a toujours le cardinal Parolin à la Secrétairerie d’État, et d’autres noms moins connus mais qui faisaient partie de la « machine ». Léon XIV n’a pas voulu éloigner celui qui a été vraisemblablement son compétiteur lors du dernier conclave. Mais cela ne veut pas dire que Léon ne changera pas certains noms. Simplement, pour ne pas se brider, Léon XIV ne veut pas aller non plus trop vite. Il entend d’abord créer un climat plus serein. Or, aujourd’hui, la Curie malmenée et mal estimée sous François semble respirer davantage. Elle n’est plus sous accusation, ce qui permet au pape de mieux la gérer et de gagner sa confiance. Au bout de quelques mois, les observateurs ont même remarqué une ambiance plus sereine : plus de chasses aux sorcières ou de soupçonnite aigüe. Sur un terme plus long, une telle attitude permettra de nommer de nouvelles personnes.

Léon XIV a su parler directement aux jeunes

La papauté est entrée à l’ère des masses. Comme ses prédécesseurs, Léon XIV n’échappe pas à cet aspect qui impose au pape une relation avec les catholiques pris comme agrégat abstrait, mais capable d’avoir aussi ses attentes et son discours. Le pape-monde est aussi le pape des masses qui parle à tous les catholiques de l’univers et qui les rencontre quand ils sont réunis. C’est un aspect discutable, mais il est inévitable dans le monde ecclésial contemporain, surtout si l’Église romaine entend demeurer un centre d’unité. On ne peut donc faire l’économie de ce système où le catholique ne voit pas seulement le curé à la messe ou l’évêque à la cathédrale, mais aussi le pape dans un stade ou ailleurs. Le pape est aussi obligé d’être la star de son public. Ainsi, à Tor Vergata (Rome), Léon XIV a su parler aux jeunes, qui étaient un million, sans renoncer à un message plus classique et plus exigeant. Le pape a dénoncé les illusions mondaines et la vie superficielle qui tente chaque catholique du monde. On peut dire que la mayonnaise a pris : la jeunesse a vite sympathisé avec ce nouveau pape. On pensait que le style bergoglien avait créé un point de non-retour : on a découvert que le pape peut être différent sans cesser d’être convaincant. Le test a été concluant, ce qui augure positivement de ce qui peut suivre. Cela permet habilement au pape de poser ses marques. À ce titre, personne n’a clamé sa nostalgie et son regret du pape François sauf, peut-être, le Canard enchaîné qui n’est pas le premier à ressortir l’expression de « souverain poncif »…

Le pape évite le scalp

Le pape est attendu sur des sujets brûlants : on pense à certains textes sensibles laissés par François à l’instar d’Amoris Laetitia que l’on identifie à la problématique de divorcés remariés ou à Fiducia Supplicans dont on retient la bénédiction des unions entre personnes homosexuelles. Or Léon XIV n’a pas voulu ouvrir frontalement la polémique sur l’interprétation de ces textes. Pour certains, c’est quelque chose qui devra être fait un jour, mais cela est-il indispensable ? Car ce serait donner aux textes du pape François une importance qu’ils n’ont pas s’ils présentent un aspect circonstanciel et s’ils ont été publiés dans un climat particulier. Il est étonnant que les partisans du concept d’« herméneutique » qui aiment passer au scalp tant de textes traditionnels du magistère romain soient prudents par rapport aux textes récents, alors qu’ils peuvent être discutés. Vatican II avait sagement parlé de « hiérarchie des vérités ». On ne voit pas en quoi les textes de François ne feront pas l’objet de précisions. C’est même inévitable, et c’est… tant mieux. Mais le message de l’Église ne peut se résumer à une « production » magistérielle sur un temps aussi bref dans l’histoire de cette institution bimillénaire. Enfin, si le pape ne dit rien, c’est peut-être aussi le meilleur moyen de ne pas survaloriser les textes litigieux. C’est le piège paradoxal de ceux qui combattent les positions bergogliennes tout en voulant les rendre centrales.

Un recentrage habile des concepts

Léon XIV ne s’est pas prononcé. Oui et non. En réalité, dans ses interventions Léon XIV recadre à sa manière certains concepts. Concernant la synodalité, qu’il ne renie pas, il en retient un aspect plus spirituel, car lorsque les chrétiens sont ensemble c’est aussi – et peut-être avant tout – parce qu’ils sont priants. Celui qui réunit, c’est le Christ. Sur la polémique consécutive à l’idole Pachamama – une statue en bois avait été mise en valeur au Vatican lors du synode sur l’Amazonie en 2019 – qui est en fait relative à la place de la nature par rapport à Dieu, le pape recentre le débat. Dans un message à un cardinal péruvien daté du 18 août dernier, le pape reconnaît la nécessité de protéger l’environnement, mais à l’égard des « biens naturels », il rappelle le danger de se comporter « comme esclave ou adorateur de la nature ». Le pape entend situer à sa juste place le monde animal, végétal et minéral. Le pape ne se fait-il pas l’écho d’un sermon où saint Augustin rappelait que tout ce qui avait été créé renvoyait au Créateur ? Pour être un peu plus terre à terre, il y a des gestes qui ne trompent pas : Léon XIV a renoué avec Castel Gandolfo, le quartier d’été des papes quand ils ne sont plus à Rome. C’est au palais apostolique de cette résidence que le pape a récité l’Angélus en juillet et en août derniers. Comme disait Victor Hugo, la forme, c’est aussi le fond qui remonte à la surface.

 

Illustration : Un retour bienvenu aux formes classiques.

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