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Aucune vérité n’est relative

Méditation avec Louis Jugnet.

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Aucune vérité n’est relative

La modernité, et avec elle la postmodernité, entretiennent un rapport très singulier avec la vérité. Pour dire le vrai (si l’on nous passe l’expression), elles la répudient par principe, motif pris que vérité d’hier est erreur ou préjugé d’aujourd’hui – et inversement – ou encore que « vérité en deçà des Pyrénées… », etc. La vérité est, en soi, méthodologiquement tenue pour suspecte, sauf à être indexée sur la science positive, qui semble en constituer le sanctuaire inviolable, voire la condition primordiale de sa validité, sinon de sa véracité : de même que Descartes subordonnait le vrai à Dieu, la science apparaît aujourd’hui comme la garantie inoxydable du réel. C’est à cette aune, par exemple, que s’apprécie la véracité ou véridicité de la thèse du réchauffement climatique planétaire d’origine anthropique. L’épisode orchestré de la pandémie covidéenne a même démontré que la science était devenue une authentique religion de la vérité… scientifique ! Le procès intenté par la modernité contre la vérité a consisté à déplacer son curseur, lequel, dorénavant, n’est plus fonction de Dieu ou de la loi naturelle, mais de la rationalité scientifique. Conformément aux injonctions des Lumières, la déesse Raison s’est substituée au Dieu de la Révélation, celle-là étant réputée plus émancipatrice que celui-ci. D’un côté, les « éclairés » s’opposeraient inexorablement aux « obscurantistes », les tenants du « progrès » contre les chantres du « Moyen Age ». Ce binarisme stérile nous écarte d’autant plus de la vérité qu’il repose sur le postulat d’une fluctuation de la vérité selon les époques et les cultures. La vérité serait évolutive dans le temps et dans l’espace, si bien qu’en toute logique l’homme vivrait, depuis l’aube de l’humanité, dans l’erreur perpétuelle ; le monde ne serait qu’une illusion, un théâtre dont les décors changeraient à chaque acte. À cette enseigne, la vérité du christianisme aurait été supplantée par celle du progrès de la raison, elle-même relayée par le libéralisme capitaliste qu’aurait corrigé le socialisme désormais marginalisé par le messianisme environnementaliste. Demain le transhumanisme et après-demain le post-humanisme asimovien…

Sans vérité, l’existence est une absurdité

Tout cela ne paraît pas bien sérieux. Le relativisme – autre nom philosophique du mouvement perpétuel oscillatoire de la vérité – devient alors synonyme de nihilisme, puisque l’humanité elle-même semble condamnée à errer dans le néant. Or, sans vérité, l’existence est une absurdité. C’est le règne de Meursault, l’étranger de Camus, insensible à la vie même, à son caractère sacré comme à son insondable mystère métaphysique : pourquoi la vie, plutôt que rien ? Que la vie soit est déjà une incoercible vérité, un truisme inaltérable. Le très méconnu (et oublié) Louis Jugnet (1913-1973) qui tenait solidement la ligne de crête du réalisme philosophique, dans la plus pure tradition aristotélico-thomiste, considérait que « dès le tout premier début de notre connaissance au monde, nous sommes plongés, immergés, dans la nature et parmi nos semblables : le réel est présent à la pensée, et la pensée est présente au réel » (Problèmes et grands courants de la philosophie, 1974). La diversité des doctrines philosophiques ne doit pas nous abuser : elles ne reflètent, au fond, que la diversité humaine dans sa complexité infinie. Le monde est tout ce qui nous est donné à voir et à vivre, indépendamment des jugements que nous portons sur lui et sur ceux qui le peuplent : « il y a du réel qui pense et du réel qui ne pense pas » écrivait encore Jugnet qui ajoutait que « l’esprit humain ne crée pas la vérité, il doit s’attacher à la découvrir, dans tous les domaines. Le réel est ce qu’il est, indépendamment de nos désirs, de nos caprices ou des modes ». Il déplorait de constater que « cette humble notion fondamentale devient de plus en plus méconnue de nos jours ». L’homme moderne, tout à sa démiurgie prométhéenne, entraîné dans la folle accélération d’une existence vouée à se consumer dans le matérialisme le plus bassement défécatoire, traite la vérité comme le cadet de ses soucis (sur ce point, nous renvoyons le lecteur à une lointaine chronique que nous avions consacrée à Hartmut Rosa ICI). Cette façon d’être (ou, plutôt, de ne pas être) rejoint sa nature. Si la vérité lui est à ce point éloignée c’est parce qu’il n’en conçoit aucune définition stricte, aveugle qui a fini par se rendre à sa propre condition d’être « jeté-dans-le-monde ». Pourtant, comme le souligne Jugnet, rien n’est plus vrai que la vérité qui ne varie jamais, seule l’assertion étant vraie ou fausse en elle-même. Si l’héliocentrisme a fini par triompher en astrophysique c’est parce que le jugement inverse était faux ab initio. Et si l’on affirme, avec force de loi, que l’homosexualité n’empêche pas d’avoir des enfants, c’est parce qu’un jugement faux s’est substitué à un jugement vrai (celui de la dissemblance complémentaire des sexes). Et de même, une affirmation sans cesse martelée ne constitue pas pour autant une vérité. Si « la conquête du vrai » est assurément difficile, elle n’est pas impossible si l’on daigne humblement s’accorder au monde tel qu’il est et non tel que l’on voudrait qu’il soit.

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