Le moment fait l’unanimité, les semaines qui viennent s’annoncent troublées et, dans l’hypothèse où le budget ne serait pas censuré, la douloureuse s’annonce salée – mais dans le cas contraire, la note le sera tout autant, doublée de désordres institutionnels et de troubles sociaux. Pour Bayrou, c’est le syndrome des sables mouvants : bouger, c’est s’enfoncer, ne pas bouger, c’est pareil. D’aucuns pensent que l’action publique pourrait encore éviter l’effondrement mais il faudrait prendre des décisions dont les conséquences seront identiques à celles de l’effondrement lui-même.
Fiscalité, rapine budgétaire, attention danger !
En un mot, voici, pour l’heure, l’esprit (si l’on peut dire !) de l’action publique : j’augmente les impôts, je ne fais aucune économie sur mon train de vie et les agences gouvernementales (la suppression de 3 000 postes de fonctionnaires sur six millions, c’est 0,05 %, juste de quoi provoquer l’ire syndicale !) et je leurre l’opinion avec la suppression de jours fériés, la guerre contre la Russie et le réarmement. Parce qu’il n’est plus question d’aller quérir sur les marchés quelques subsides, les agences de notation sont en embuscade pour dégrader la note de la France : Fitch annonce une note pour le 12 septembre, Moody’s et S&P attendent la fin octobre et la fin novembre. Il reste au pouvoir à faire les poches des épargnants, au besoin par la réquisition, que ne ferait-on pas pour « sauver la France » qu’on a mis au fond du trou ! Et, en dernier recours, aller mendier le secours des banques centrales.
La mesure des dommages
Chacun le sait nous sommes le n°1 de la dette publique (3346 mds d’euros) ; outre qu’elle est détenue à 54,7 % par des non-résidents, ce qui est une servitude, elle n’engendre aucune croissance, si l’on veut raisonner en keynésien. Les dépôts de bilan se multiplient, à la mesure de la multiplication des agents du fisc et de la complexité du code du travail, les deux décourageant les PME et laissant prospérer l’économie parallèle. Une croissance à 0,4 %, pas de quoi pavoiser ! Un déficit pour 2025 prévu à 200 mds d’euros, une dépense publique qui augmente encore mais, nous dit-on, de seulement 29 milliards de plus qu’en 2026, une bagatelle ! Elle augmente moins (un exploit !), à 1681 mds d’euros, tandis que les recettes publiques sont à 1572 milliards. La communication gouvernementale est dans la dissimulation permanente, elle reconnaît un déficit représentant 5,8 % du Pib mais se garde bien de rapporter ce déficit aux recettes. Donc la dette, qui nous coûte près de 70 mds d’euros par an, va encore augmenter. 1000 milliards auront été payés à ce titre par les Français, entre 2015 et 2030 puisqu’il est prévu 100 mds d’euros par an à payer pour 2030. Et on ne nous parle jamais de la dette dite hors bilan (les retraites de la fonction publique et autres engagements de l’État) qui, avec la dette admise, ferait un total de 7500 mds d’euros. Un autre risque n’est pas annoncé, celui du défaut de paiement de la Sécurité sociale : la CADES (caisse d’amortissement de la dette sociale, à l’origine destinée à disparaître) qui gère sa dette n’aura pas le droit de dépasser 10 mds d’euros, à prendre sur les marchés, alors qu’elle aura besoin de 22 mds d’euros selon ses propres chiffres, tandis que l’on continue de fermer des lits et des services d’urgence, cynisme et incompétence étant les deux mamelles de la politique. On imagine l’effet social explosif qu’aurait un refus de remboursement de la Sécurité Sociale. Et, au final,
l’inflation provoquée par la planche à billet est loin d’être jugulée : entre 2021 et 2025, elle a été de 18 % mais de 24 % pour les prix alimentaires ; là encore, comme pour la protection sociale, du vécu en direct pour les ménages.
Bayrou, une mouche dans la confiture
Bayrou, tel une mouche dans la confiture, se demande comment en sortir. Faire payer les riches souffle la gauche, mais user du levier fiscal conduit fatalement à concentrer la taxation non pas sur les plus riches mais sur ceux qui ne disposent pas du pouvoir de relocaliser à leur gré leurs actifs, c’est-à-dire les classes moyennes : les retraités, petits épargnants, héritiers, automobilistes, consommateurs locaux, et autres petits propriétaires immobiliers. Il faudrait donc prioritairement dégager les dépenses nuisibles, et même les dépenses odieuses, selon le concept développé par le juriste russe du siècle dernier, Alexander Nahum Sack, soit les dettes qui ne découlent pas de l’intérêt public. Par exemple, financer les médias de propagande, les associations immigrationnistes, les frais de « transition de genre » ou bien encore la ruineuse et inutile politique de la ville, une sorte de tribut aux tribus.
Explosion ou résignation ?
Bayrou avance aussi l’idée d’une année blanche, soit aucune augmentation de salaires (fonction publique), pensions et autres revalorisations. Cette année blanche de peu d’efficacité peut provoquer une année noire. Grèves, manifestations, déjà le 10 septembre sent le soufre quoi qu’il ne semble pas échapper à la prise en main par les « institutionnels », syndicats et partis politiques, principalement LFI. « Agiter le peuple avant de s’en servir » disait Talleyrand. D’un côté le pouvoir peut espérer tirer parti du désordre, de l’autre les Insoumis ne seraient pas fâchés de voir le mouvement dégénérer du côté des banlieues. Nous sommes dans l’inconnu total, d’autant que les effets des dommages économiques se produiront plutôt à échéance de quelques mois. L’histoire peut s’accélérer néanmoins si la crise institutionnelle s’enchaîne, issue d’une motion de censure (289 voix). Les oppositions au pouvoir sont nombreuses, jamais un président et un Premier ministre n’ont été aussi bas dans les sondages. Néanmoins, elles sont sociologiquement extrêmement différentes et ne semblent pas en passe de s’unir. Nous ne parlons pas des partis politiques, fortement démonétisés, mais des composantes d’une société fracturée et communauta-risée. Les banlieues ethniques et les Insoumis formerait un premier bloc, mais rien ne dit que les banlieues de l’islam suivent le calcul de Mélenchon, d’autant que ce qui cause la révolte n’est pas de nature à les affecter (fiscalité, réglementation, tyrannie de la Commission européenne). Un autre bloc serait constitué de la masse des Français installés dans la dissidence, cantonnés dans l’abstention, par des années de réglementation doublée de mépris et d’abandon, les rigueurs de la loi ne s’appliquant qu’à ceux qui la respectent : les plus de 60 % qui peuplent « les territoires », auxquels ajouter les classes moyennes en voie de déclassement. Mais pour un soulèvement il faut des hommes et des programmes, et on ne voit, pour l’heure, poindre personne.
Dans les catégories qui pourraient souffrir du budget, selon Bayrou, il y a la figure de l’épargnant et celui du retraité lesquels se confondent partiellement, dans une France qui vieillit et qui présente une moindre propension à la révolte, plutôt à la résignation. Les plus jeunes, quant à eux, « formés » par une école en pleine déliquescence, ne connaissent rien de l’histoire du peuple français traditionnellement porté au soulèvement. La « rebellitude » est institutionnelle, plutôt à usage des magistrats, des « sages » du Conseil constitutionnel qui ont décidé d’imposer leur vision du monde aux Français, et des journalistes, meilleurs soutiens d’un régime honni pourtant par le peuple.
On doit à Michel Geoffroy, brillant énarque, cette analyse qui, hélas, semble la plus proche de la réalité : « De nos jours, force est de constater que plus rien ne semble pouvoir faire sortir nos concitoyens de leur torpeur : ni la catastrophe sécuritaire qui les frappe, ni le déclin économique, ni la réduction continue des libertés publiques, ni la fin de l’indépendance nationale, ni les palinodies politiciennes, ni les perspectives de guerre, ni les vaccins obligatoires. Les apathiques assistent au naufrage de leur patrie comme si la catastrophe ne les concernait pas. » (Polemia). À cela Michel Geoffroy apporte des explications : le changement de population, le déracinement culturel, la société de propagande, la répression croissante, la destruction du système politique. Pour ce système politique, en effet, à quoi bon affronter un spectre ? Le peuple se contentant de vomir les politiciens, avec pour seule thérapie le déversoir des réseaux sociaux, il y a loin encore de l’écran numérique à la rue. Mais l’histoire est imprévisible. Faudra-t-il sauver le peuple malgré lui comme disait Bonaparte ?
Illustration : François Bayrou, nouveau Mendès-France, dont il partage l’élégance et l’intelligence.