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El Chuncho, un concentré de western italien

Le western est, selon André Bazin, le genre américain par excellence ; raison pour laquelle, sans doute, en Europe, exceptés les films de Sergio Leone, le genre souffrit cruellement d’un manque de crédulité, dont l’ostracisme sectaire lui valu d’être péjorativement dénommé « western-spaghetti ».

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El Chuncho, un concentré de western italien

À bon droit, le grand Leone s’en émut : « ce mot de western-spaghetti, c’est un des plus cons que j’ai jamais entendu de toute ma vie. Au début, j’ai cru très sincèrement que le mot avait été inventé, par dérision, par des étrangers s’imaginant qu’à la place du lasso, les films de cow-boys italiens utilisaient des kilomètres de spaghettis ».
Il faut, toutefois, reconnaître que les authentiques chefs-d’œuvre – et ils furent nombreux – ont été copieusement noyés au milieu de navets alimentaires – tout aussi pléthoriques – parfois ridiculement grotesques, qui n’ont guère contribué à (re)dorer le blason d’un genre qui connut, nonobstant, un net regain sur le sol de la vieille Europe, tandis qu’il s’essoufflait outre-Atlantique. Mais le western all’italiana, bien que prolifique entre tous, s’insère plus largement dans le western européen, bien plus contestataire, moins manichéen et plus tragique aussi que sa cousine hollywoodienne. À la différence des États-Unis, le western européen s’enracine non dans une histoire mais dans des crises sociales et politiques, parfois existentielles. La « trilogie des dollars » de Leone fait porter métaphoriquement les stigmates d’un vieux continent qui a vécu sur les visages patibulaires, huileux et burinés des cowboys, lesquels se résignent froidement à la mort, quoi qu’il arrive. L’Ouest à l’italienne est plus désespéré, d’un romantisme âpre et quelquefois cynique. Le western US se veut plus optimiste à proportion de ce qu’il sublime une Amérique (celle des pionniers, des pistes et… du nettoyage ethnique des Amérindiens) conquérante, messianique et sûre d’elle-même. Il faudra attendre des films comme 40 tueurs, Coups de feu dans la Sierra, Fort Massacre, La Horde sauvage, Soldat Bleu, L’Homme des hautes plaines, Josey Wales hors-la-loi et quelques autres du même tabac, pour voir le genre accéder à une maturité qui prélude déjà à son irrésistible crépuscule. Désormais, la violence s’y montre moins fardée et sous un jour moins hypocrite.

Un western politique

Sous le ciel étouffant de la steppique Alméria (province d’Andalousie où furent tournés la plupart des westerns européens), l’on a pris le parti, depuis Leone, de ne guère s’encombrer de sentiments et la violence, aussi brutale et cruelle qu’hyperbolique (voir Django, Navajo Joe, Les Colts de la violence, Le Dernier face à face…), si elle peut paraître gratuite, n’en est pas moins sombrement humaine, de cette noirceur qui irradie de la fleur impure du péché originel. Avec El Chuncho (Quién sabe ?), film de la veine des westerns-Zapata – à cause de leur intérêt porté à la révolution mexicaine –, tourné en 1967 par Damiano Damiani (La Mafia fait la loi, Confession d’un commissaire de police au procureur de la république), nous sommes en présence d’un concentré de western européen à la sauce italienne. D’abord la distribution, avec Gian Maria Volonte (Pour une poignée de dollars, Tuez-les tous et revenez seul !), campant « El Chuncho », bandit anarchiste opportuniste ; puis Klaus Kinski (Et pour quelques dollars de plus, Le Grand Silence) jouant son frère, pseudo-moine halluciné, sans oublier le remarquable Lou Castel (Requiescant, Matalo !) en mercenaire yankee au visage d’ange, manipulateur et sans scrupule ; la partition signée Luis Enriquez Bacalov est supervisée par l’inévitable Ennio Morricone. Le scénario, ensuite : au Mexique, pendant la révolution (1910-1912), El Niño/Lou Castel se fait engager par une bande guérilleros à la suite de l’attaque d’un train de l’armée et gagne la sympathie du Chuncho. Au QG du chef de la rébellion, El Niño, travaillant en réalité pour le gouvernement, abat le général en faisant du Chuncho son complice involontaire. Nous ne dévoilerons pas la fin, sauf à dire qu’elle a une tonalité typiquement sociale et révolutionnaire. El Chuncho est un western pleinement politique : derrière le personnage du Niño, c’est l’Amérique impérialiste et sa politique d’ingérence qui sont dénoncées. Quant au bandit hâbleur et assez rustre, il incarne la fidélité candide et inoxydable à la cause du peuple. Ici, pour une fois, le Grand Sam n’a pas le beau rôle et les rebelles mexicains sont dignement traités. Une indéniable réussite.

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