Civilisation

L’orbite terrestre, nouveau terrain militaire
À l’heure où certains intellectuels débattent encore de l’intérêt d’aller dans l’espace, plusieurs livres nous rappellent que cette dimension fait déjà partie de notre réalité.
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Un livre-hommage paru chez Delatour France retrace le parcours et analyse la production de Roger Tessier, né en 1939 à Nantes, qui prit part à certaines des plus exaltantes aventures musicales de notre temps.
Violoncelliste de formation, Roger Tessier étudie au Conservatoire de sa ville natale et se met à composer mélodies, messes et sonates. De 7 à 20 ans, au sein de la manécanterie de Saint-Similien, il pratique le chant grégorien qui forge sa passion pour la voix et nourrit sa quête d’idéal. Il entre en 1959 au Conservatoire de Paris, où il suit les cours d’Olivier Messiaen (analyse), Henri Challan (harmonie), Alain Weber (fugue) et Eugène Bigot (direction d’orchestre).
En 1967, Roger Tessier éprouve un coup de foudre pour Saint-Clar (village de la Lomagne d’où est originaire son épouse Clara) et s’y fixe. « Le jeune compositeur puise ses inspirations à la source de l’Arrats, la luminosité gasconne, le silence profond d’une nuit sous les étoiles » La splendeur du ciel nocturne gersois imprègne Les Constellations oubliées (2018), son 3e quatuor à cordes. L’année suivante, ayant reçu une bourse de la Villa Médicis pour séjourner au château de Lourmarin, il rencontre Henri Bosco (prix Goncourt 1945 pour Le Mas Théotime), qui l’initie aux arcanes de l’ésotérisme. Dès lors, le musicien qualifie ses partitions de « perceptions alchimiques ».
Conscients que les institutions officielles ne leur offrent que peu de possibilités et afin de promouvoir les œuvres de compositeurs résolument tournés vers l’avenir, Roger Tessier et Tristan Murail fondent le collectif L’Itinéraire en 1973. Michaël Levinas et François Bousch les rejoignent, bientôt suivis par Gérard Grisey et Hugues Dufourt. La bénéfique collégialité du groupe lui permet d’affronter divers conflits et d’imposer des projets artistiques novateurs. Les musiciens de L’Itinéraire illustrent le courant dit spectral qui porte une attention particulière au timbre. Ainsi, sans opposition au Domaine Musical de Boulez (1954-1973), furent-ils les premiers à intégrer un instrumentarium électronique aux instruments traditionnels, en cherchant de nouveaux modes de jeux (bruitages, dénaturation du son, etc.) aux ressources sonores déjà proposées par la pop et le rock. Depuis plus de cinquante ans, des centaines d’œuvres ont été créées par cet ensemble rassemblant des solistes de très haut niveau.
Le langage de Roger Tessier exploite donc l’électroacoustique, les micros, la guitare électrique (Fissure(s), 2011) et les ondes Martenot (Hexade, 1982), perpétuant le message d’Olivier Messiaen, figure tutélaire :« Les ondes ont été pour moi l’instrument absolu qui m’a permis d’écrire mon œuvre, par leur potentialité de transformation du son, par leur dynamique absolument extraordinaire, par leurs modes de jeux grâce auxquels j’ai transposé cette écriture aux instruments acoustiques, réalisant une sorte d’élargissement polyphonique de l’homophonie, qui est une caractéristique de ma musique » Jusqu’à ce que vienne l’élue (1972) et Electric Dream Fantasy (1990) constituent d’éloquents exemples de cette hybridation.
L’empreinte de Giacinto Scelsi se décèle également dans sa volonté d’« écouter le cœur du son. » Le musicologue Pierre Albert Castanet estime que « parti des procédés de fusion des constituants de la couleur de diverses sources, il tentera même l’adjonction artificielle des sciences et des techniques électroniques pour atteindre les sphères esthétiques du son-bruit parasité, attitude typique d’un courant volontairement libéré, venu tout droit de l’émancipation des mœurs musicales de l’après Mai 1968. »
En revanche, Tessier n’a pas de goût particulier pour la forme. Une singularité de son écriture serait plutôt une manière d’autodéveloppement exploitant la transformation perpétuelle d’éléments choisis. « C’est l’idée de la variation venant du XVIIIe siècle, nous dit-il, d’un éventail infini permettant de développer une pensée et de la resserrer sur un concept simple. »
Son attrait prononcé pour la littérature se retrouve dans les titres de ses œuvres : Le tombeau de Henri Bosco (1976), Urjammer (Geva Caban, 1990), Le Tombeau de Pierre Gardeil (2011), Soleil de nuit (Philippe Arrieus, 2019), tout comme ils reflètent son amour de la peinture : Omaggio a Carpaccio (1985), Envol (Les Mouettes de Nicolas de Staël, 1998), Le rêve de l’Indien (Robert Le Guinio, 2003).
Depuis toujours, Roger Tessier est fasciné par le miroir et par la dualité, par l’opposition d’éléments complémentaires et contradictoires dont sa musique porte trace : L’ombre de Narcisse (1993), La mémoire de Narcisse (2009), Clair-obscur (1979), Ombre-lumière (2002), Echo ex-écho (2012).
De 1982 à 1989, il dirige le Festival d’Angers-Musiques du XXe siècle, où ni la danse contemporaine, ni les musiques extra-européennes, ni le jazz ne sont oubliés. Il participe au Festival de Darmstadt en 1984, prend les rênes du Conservatoire d’Angers en 1987 puis du Conservatoire Darius Milhaud du XIVe arrondissement de Paris (1991-1999) où il crée une classe de composition. Désireux de favoriser la découverte et la pratique de la musique du XXe siècle, une partie de son catalogue est d’ailleurs à destination pédagogique, comme Skolvan (2002), tiré du Barzaz Breizh ou Rires et chuchotements (2007).
Lauréat en 1978 du prix Stéphane-Chapelier de la SACEM, de la Fondation de France en 1980, il reçoit en 1981 le Grand prix de l’Académie Charles Cros et est nommé secrétaire général de la section française de la Société internationale pour la musique contemporaine. L’Académie des beaux-arts lui décerne le prix Jacques-Durand en 1990 et le prix Florent-Schmitt en 1991.
Personnalité attachante et généreuse, cet artisan des sons demeure fidèle à l’étymologie de son patronyme signifiant : tisserand. « Roger Tessier est de ceux qui, depuis un demi-siècle, arpentent les fleuves escarpés de l’art musical et de la pédagogie. L’esthétique de Roger Tessier, cet humaniste discret, sincère et passionné, toujours prêt à communiquer, communier, aimer, aider, a ainsi été circonscrite avec large parcimonie et grande lucidité. Ce qui compte pour Roger Tessier c’est l’opus – au sens latin du terme – c’est-à-dire l’œuvre à faire ».
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