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Emmanuel Macron et l’Afrique, le piège de la repentance mémorielle

Depuis le premier quinquennat d’Emmanuel Macron, la France a multiplié les initiatives de repentance de son passé colonial, à travers la création de commissions historiques, à coup de cérémonies et de discours de contrition. Cependant, cette politique, censée favoriser la réconciliation, se heurte à des critiques récurrentes : absence de réciprocité, instrumentalisation politique et inefficacité diplomatique.

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Emmanuel Macron et l’Afrique, le piège de la repentance mémorielle

Credit:Eric TSCHAEN-POOL/SIPA/2103271308

Lors de sa visite officielle au Cameroun en juillet 2022, Emmanuel Macron a surpris ses interlocuteurs en annonçant la création d’une commission chargée d’évaluer la responsabilité de Paris dans les violences qui ont précédé l’indépendance de cette ancienne colonie française (1960). Une initiative souhaitant s’inscrire dans une dynamique plus large de reconnaissance des torts passés de la France en Afrique, amorcée sous couvert de « politique mémorielle » et de « réconciliation ».

La commission, composée de 14 chercheurs et historiens franco-camerounais et co-présidée par l’historienne Karine Ramondy, s’est attelée à étudier 1100 cartons d’archives et 2300 documents déclassifiés pour produire un imposant rapport de 1000 pages. Un document, rendu fin janvier dernier, qui dresse un tableau accablant des relations franco-camerounaises, mettant en lumière les exactions commises par l’armée française : torture, arrestations massives, regroupement de populations dans des camps, bombardements de villages et destruction de localités entières, assassinats des deux principaux leaders indépendantistes de l’Union des Populations du Cameroun (UPC), comme Um Nyobé, exécuté en 1958, et Félix-Roland Moumié, empoisonné en 1960 dans un restaurant suisse. Il souligne également une collusion entre Paris et le régime du Président Ahmadou Ahidjo pour réprimer toute opposition au premier président camerounais. Bien que la France évite de se voir taxée de « pays génocidaire », le rapport pointe du doigt le nombre de « victimes de cette guerre s’élevant à plusieurs dizaines de milliers de Camerounais tués ».

La commission sur le Cameroun n’est pas un cas à part. Elle s’ajoute à une série de politiques similaires menées sous la présidence d’Emmanuel Macron. En 2020, le chef de l’État avait confié à l’historien (controversé) Benjamin Stora une mission sur « la mémoire de la colonisation et de la guerre d’Algérie ». Le rapport qui en est sorti a multiplié les propositions afin que la France fasse amende honorable, mais sans obtenir la certitude de réciprocité de la part d’Alger, pourtant partie prenante de ce travail commun. Loin de favoriser une réconciliation, la publication du document n’a fait qu’exacerber les tensions entre les deux pays, d’une part entre Algériens et anciens Pieds-noirs, d’autre part entre émigrés résidant dans en France et Français.

Une stratégie qui se retourne contre la France

Le Rwanda illustre un autre cas de figure de cette politique mise en place par Emmanuel Macron. Dans le cadre d’un rapprochement diplomatique avec Kigali, Paris a décidé de réexaminer son rôle dans le génocide de 1994, n’hésitant pas à rouvrir un chapitre litigieux qui empoisonnait jusqu’ici les relations entre les deux pays. Un conflit mémoriel qui a eu aussi pour conséquence la rupture de leurs relations diplomatiques entre 2006 et 2009. Se targuant de renouer avec Kigali dès son premier quinquennat, sous couvert d’une nouvelle politique de la France en Afrique, le président français avait déjà cédé le poste de Secrétaire générale de la Francophonie à Louise Mushikiwabo, une Rwandaise anglophone (2019) ; laquelle n’avait pourtant pas mâché ses mots contre la France lorsqu’elle avait été ministre des Affaires étrangères du Président Paul Kagamé. Rien d’étonnant donc si le rapport de 1200 pages, sévèrement critiqué pour son manque d’impartialité par une partie de la classe politique française, a conclu à des « responsabilités lourdes et accablantes » de Paris dans les massacres entre Tutsis et Hutus.

En dépit de tous ces gestes, au lieu d’améliorer ses relations avec ses anciens territoires africains, la France semble payer le prix d’une stratégie mémorielle inique qui se retourne contre elle. Les rapports et commissions successifs alimentent davantage la frustration qu’ils ne favorisent un véritable dialogue. L’absence de réciprocité dans la reconnaissance des responsabilités est flagrante, renforçant le sentiment auprès des Français et des Africains que l’Élysée cherche surtout à racheter son image plutôt qu’à construire des relations équilibrées. Ainsi, en Algérie, la situation n’a fait qu’empirer depuis la publication du rapport avec des officiels désignant publiquement la France comme une « ennemie traditionnelle et éternelle ». Le récent choix diplomatique de Paris de soutenir le Maroc dans le dossier du Sahara contre Alger a mis le feu aux poudres. L’arrestation du franco-algérien Boualem Sansal a mis un terme à toute perspective de réconciliation entre les deux pays, au moins à court terme – si tant est que cela ait été la réelle volonté d’Alger qui n’a jamais fait le moindre acte de repentance au regard des nombreux crimes commis contre les Européens et les Harkis par le Front de Libération nationale (FLN) durant le conflit qui a opposé les rebelles indépendantistes aux forces françaises (1954-1962). Interviewé par L’Opinion, le président Abdelmadjid Tebboune n’a pas hésité à employer la sulfateuse pour « dézinguer » une partie de la classe politique et du gouvernement français, taxés « d’algérophobes ».

Les décolonialistes à la fête

En Afrique centrale, la situation dans la République démocratique du Congo a montré les faiblesses de la France dans ce dossier complexe. Coincée par sa propre politique de repentance, Paris s’est limité à de timides exhortations en demandant à Kigali de « retirer » les troupes qui combattent aux côtés des rebelles du M23 et qui détiennent désormais une portion du territoire congolais. Refusant de prendre nettement position, Paris craint que le Rwanda ne réveille le contentieux sur le génocide, loin d’être apaisé, le Pays aux mille collines réclamant depuis des années que lui soient livrés les génocidaires hutus présents en France afin qu’ils soient jugés. Une demande que préfère ignorer la France et dont l’ambiguïté sur le sujet ne fait que renforcer l’image d’une nation en perte de vitesse face à des acteurs plus affirmés comme la Chine et la Russie, désormais solidement installés sur le continent africain. Ainsi, malgré une aide substantielle accordée par la France depuis cinq ans, se chiffrant à plusieurs millions d’euros, le dernier dinosaure de la Françafrique à la tête de l’état camerounais depuis 1982, Paul Biya, a décidé de réorienter sa politique de coopération vers Moscou. Yaoundé a récemment multiplié les accords économiques, universitaires et militaires avec la Russie de Vladimir Poutine.

Le rapport qui lui a été délivré sur les crimes français durant la colonisation dans son pays n’a, finalement, servi qu’à conforter les influenceurs décolonialistes qui ont le vent en poupe chez les Africains, dans leurs critiques récurrentes contre la France, exigeant d’elle une repentance totale pour ses (prétendus) forfaits. Dernier dossier en date dont certaines associations réclament l’ouverture : le massacre au Sénégal du camp militaire de Thiaroye (1944) et celui de la répression sanglante de Dimbokro en Côte d’Ivoire (1950) qui pourraient entacher les relations de la France avec deux anciennes colonies si l’Élysée se décidait à ouvrir cette énième boîte de Pandore.  Ce basculement des relations franco-africaines pose aujourd’hui une question cruciale : en cherchant à se racheter un passé douloureux par des gestes symboliques contreproductifs, la France ne condamne-t-elle pas définitivement son avenir diplomatique en Afrique ?

 

Illustration : Emmanuel Macron présente fièrement (en 2021) le rapport de la commission de recherche sur les archives françaises relatives au Rwanda et au génocide des Tutsi.

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