Historien, politologue, Nicolas Lebourg est un des meilleurs spécialistes du Front national. En 2015, il a publié Les droites extrêmes en Europe (Seuil). Cet entretien est paru dans une version abrégée dans le numéro 148 de Politique magazine dont le dossier est consacré à Marion Maréchal-Le Pen, l’étoile montante du Front national.
Peut-on retracer brièvement l’histoire de ce qu’on appelle l’extrême-droite ?
En France, elle naît avec le général Boulanger au XIXe siècle. En schématisant, on peut dire que le boulangisme est fondé sur le rejet des corps constitués et qu’il prône une république référendaire à l’exécutif fort. Le Front national de Jean-Marie Le Pen s’inscrivait dans cette tradition. Mais depuis l’arrivée de Marine Le Pen, ces références culturelles et politiques ont largement évolué sous l’influence d’un « néo-populisme » apparu dans les années 2000 avec le mouvement fondé par Gert Wilders en Hollande. Le Front national est ainsi passé d’un « national-populisme », alliant valeurs sociales de gauche et valeurs politiques de droite, à ce que j’appelle un « souverainisme intégral ». A savoir, la promesse d’une protection tout à la fois économique, démographique et culturelle sans failles face aux dangers de la mondialisation.
Que représente Marion Maréchal-Le Pen au sein du FN ?
Marion Maréchal-Le Pen est au confluent des droites catholiques et identitaires. Elle fédère un « bloc des droites » qui entre en concurrence avec les tenants d’une ligne « ni droite, ni gauche » nombreux au sein du Front national. Son libéralisme économique – pas très différent de celui qu’affichait son grand-père – et son conservatisme sur le plan des mœurs, qui s’est affirmé dans l’opposition à la loi Taubira, vont dans cette logique.
Des idées qui tranchent avec celles de sa tante, Marine Le Pen…
La présidente du FN est persuadée que ces combats politiques, en particulier l’opposition au mariage pour tous, n’ont pas d’intérêt stratégique. Il s’agit d’une réflexion ancienne chez elle, mûrie depuis son passage à la tête de l’association Génération Le Pen en 2002. Contrairement à ce qu’on a raconté, ce ne sont pas les « néopaïens » et autres « racialistes » qui ont été écartés des instances de direction du parti lorsqu’elle en a été élue présidente en 2011. Ce sont d’abord ceux qui incarnaient le courant national et catholique, traditionnel au sein du FN. Marine Le Pen a pris le FN par la gauche. D’où, entre autres, l’importance accordée à la défense de la laïcité.
Ce qui n’a pas l’heur de plaire à tout le monde au sein du parti. Quelle est la meilleure stratégie ?
Du point de vue électoral, c’est Marion Maréchal-Le Pen qui est dans le vrai. La ligne « souverainiste » imposée par Florian Philippot a sans doute fait perdre au FN le second tour des élections régionales. Avec Joël Combin (ndlr : universitaire spécialiste du vote frontiste), nous avons étudié de près le vote FN lors des dernières élections municipales : c’est très clairement un vote de droite ! Le fantasme de l’ouvrier communiste passé au FN ne résiste pas à la réalité des faits. La direction actuelle du FN court donc après une chimère et commet une erreur d’analyse stratégique, pointée comme telle au congrès de Lyon, en 2014, ou Marion Maréchal-Le Pen était arrivée en tête des élections internes, devant Florian Philippot, arrivé seulement quatrième. Une façon pour les militants de rejeter cette ligne « souverainiste » qui a pourtant été maintenue aux régionales de 2015.
Il y a donc une incompréhension entre les militants et la direction ?
Je le pense. La ligne actuelle ne correspond ni aux aspirations des militants ni à celle des électeurs. Le programme économique du Front – qualifié « d’extrême-gauche » par Nicolas Sarkozy, habile cette fois – illustre ce hiatus. Je pense en particulier à la proposition phare de Marine Le Pen de sortir de l’euro. Une telle mesure est rejetée par une très large majorité de l’électorat de la droite et de la droite de la droite. De nombreux cadres du Front m’ont confié défendre le programme économique de Marine Le Pen sans le comprendre. Les pauvres en perdent leur latin.
En changeant son programme, Marine Le Pen peut donc l’emporter en 2017 ?
La route est encore longue, très longue. 69 % des gens la trouvent « sectaire » et une large majorité de l’électorat pense qu’une fois au pouvoir le FN remettra en cause « le caractère démocratique des institutions »… « La France apaisée », son nouveau slogan, est une réponse directe à cette image dure, agressive, qu’elle renvoie dans les médias. Même si le programme économique est révisé, il me semble aujourd’hui difficilement envisageable que le FN emporte la prochaine élection présidentielle. Cela dit, si Daech fait exploser une bombe dans le métro parisien une semaine avant le premier tour, bien malin celui qui sait comment réagira l’opinion publique.
Florian Philippot pourrait-il être menacé ?
Il a beaucoup travaillé ses réseaux internes, ce qui le rend intouchable pour l’instant. Il reste dans la roue de Marine Le Pen dont la légitimité, en tant que présidente et candidate naturelle à l’élection présidentielle, ne se posera pas avant 2022. En revanche, si elle échoue à ces deux élections, il est tout à fait probable qu’on assiste à un affrontement entre Philippot et Maréchal-Le Pen.
Jean-Lin Lacapelle a récemment été appelé pour « remettre de l’ordre » dans le parti…
Le FN a perdu près de 15 % de ses élus locaux… Il fait face à un conflit de générations. Celle qui est arrivée aux manettes avec Marine Le Pen en 2011 est poussée dehors par les nouveaux arrivants, aux profils sociologiques différents. Résultat : une vague de mécontentement apparaît au niveau local. D’où l’arrivée de Jean-Lin Lacapelle comme secrétaire national aux fédérations et à l’implantation, qui est chargé de remettre de l’ordre. Ce qui ne sera pas du luxe ! Les militants du FN sont, certes, des partisans de l’ordre mais ils refusent souvent d’en recevoir. Ce en quoi, ils auraient de bonnes leçons à prendre des trotskystes !