Civilisation
Blake et Mortimer en toute liberté
L’Art de la guerre n’appartient pas à la collection standard de la série Blake et Mortimer mais à la série « Un autre regard sur Blake et Mortimer ».
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Chaque année un nouvel album de Blake et Mortimer vient se rajouter à la liste, déjà longue, des albums post-Jacobs.
Dans ce nouvel opus, signé Juillard et Sente, deux vieux routiers de la série (leur premier album date de l’an 2000), la grande histoire se télescope avec la grande. Un nouveau groupe indépendantiste des Cornouailles, le Free Cornwall Group, agit dans la petite ville de Sainte Corineus. Tout en protestant contre l’arrivée de nouveaux migrants économiques, le groupe mène des recherches pour retrouver le trésor légendaire du roi Arthur et son épée, Excalibur. Blake est envoyé sur place avec pour mission de démanteler l’organisation et de contrecarrer les plans de leur chef, surnommé « Grand Druide ».
Pendant ce temps, au Center of Scientific and Industrial Research de Londres, le professeur Mortimer dévoile une nouvelle invention : une excavatrice de poche baptisée « La Taupe ». Pour démontrer la robustesse de cette technologie, il est annoncé dans la presse britannique que « La Taupe » sera mise à l’épreuve dans les Cornouailles.
Et Olrik dans tout ça ? Depuis sa cellule de prison, dans laquelle il est enfermé depuis plusieurs albums déjà, l’ennemi juré de Blake et Mortimer se livre à un audacieux chantage en vue d’être libéré et de poursuivre ses mauvaises actions, moteur de 99 % des aventures du célèbre duo. Une histoire un peu confuse, aux ressorts attendus, qui brille par le dessin de Juillard : on est loin du brio développé par Fromental et Bocquet dans leur Huit heures à Berlin, qui renouvelait heureusement le genre et la série.
Il était prévu que Signé Olrik soit le dernier Blake et Mortimer dessiné par André Juillard. Mais il n’était pas prévu, hélas, que ce fut son dernier album. Juillard nous a en effet quitté à la suite d’une longue maladie le 31 juillet dernier. Il ne verra pas son ultime album, publié à titre posthume, connaître le succès qu’il mérite. Graphiquement, l’album est digne de ses prédécesseurs, et même plus beau car c’est le dessinateur lui-même qui avait suggéré les Cornouailles comme cadre de son ultime apport à la série : Juillard a réalisé des planches remarquables, qui marqueront l’histoire de la série, rehaussées de superbes couleurs traditionnelles réalisées par Madeleine DeMille. Le scénario écrit par Yves Sente est dans la lignée des albums écrit par ce scénariste chevronné. Les amateurs seront ravis, ceux que les histoires de Sente laissent froids continueront de regretter que cet éditeur se soit lancé dans l’aventure de l’écriture.
La quête d’Avalon et du tombeau du Roi Arthur aurait, sous Jacobs, suffi à faire une histoire complète et riche de réminiscences, de références, à l’Histoire. Il n’en est rien sous la plume de Sente : comme toujours chez lui, les histoires s’entremêlent. À cette quête se rajoutent : un chantage effectué par Olrik, des attentats terroristes d’indépendantistes, les problèmes posés, déjà, par l’immigration de travail… Bref, l’actualité de l’époque vient se rajouter à une histoire de chasse au trésor déjà riche qui se serait suffi à elle-même. Du temps de Jacobs, toute référence politique ou historique contemporaine devait être effacée. C’était à la fois le désir de l’éditeur du journal Tintin et le souhait de l’auteur complet des aventures de Blake et Mortimer. Ce n’est plus le cas aujourd’hui, où des scénaristes comme Yves Sente peuvent se permettre de remettre des séries aussi importantes que Blake et Mortimer dans leur époque. On pourra le regretter.