À la fin du XIVe siècle, un vieux Bourgeois enseigne à sa jeune femme de quinze ans comment tenir son ménage. Que de conseils dispensés à « belle amie » !
Se tenir à table, se cultiver, prier, gouverner les domestiques, cuisiner… « Je me rappelle bien : vous m’avez prié humblement dans notre lit que je vous instruise pour vous éviter de commettre des impairs lorsque nous sommes en société. […] Oui, je voudrais que vous soyez très instruite, d’abord pour être en mesure de servir, si nécessaire, un autre mari après moi. » Mais on est loin d’Arnolphe et Agnès, car le Bourgeois (qui restera anonyme et mourra avant d’avoir achevé son ouvrage, recopié maintes et maintes fois) ne veut surtout pas que « belle amie » soit idiote : une prude femme doit tenir son rang et pas juste l’aiguille.
Karin Ueltschi, poussée par Michel Zink, va traduire le Mesnagier de Paris pour qu’il paraisse en poche, en 1994 : elle ne quittera plus le livre et finira par le considérer comme une fenêtre ouverte sur le Moyen Âge, fenêtre devant laquelle elle s’installera souvent. Son ouvrage n’est pas une traduction mais un exposé ordonné de tout ce que contient le Mesnagier et de tout ce qu’il permet de connaître du XIVe siècle parisien bourgeois, où les femmes doivent « mettre beaucoup de zèle et d’application à gérer avec discernement et à faire prospérer les biens et la fortune que [leurs] maris, par leur travail et leur fermage, parviennent à amasser », enjoint le Bourgeois. L’homme fait rentrer les vivres, la femme les range et les répartit « à bon escient et convenablement, sans trop de parcimonie ». Tout doit être tenu, et nettement, et on descend dans le détail, comme les six façons d’éviter les puces dans les lits, en éparpillant des feuilles d’aulnes, par exemple ; ou en recommandant de faire inspecter « par maître Jean le dépensier, à la lueur de la chandelle, les fonds des tonneaux devin, de verjus et de vinaigre » pour vérifier qu’il n’y a point de fuite. « Belle amie » doit ainsi embesogner les gens, Jehanneton la laitière et Endeline qui s’occupe de la basse-cour, et faire coucher « dans un cabinet adjacent [à sa chambre] ou une chambre sans lucarne et sans fenêtre basse donnant sur la rue [ses] filles et chambrières qui ont entre quinze et vingt ans, parce que, à cet âge-là, elles sont ignorantes ». On aimerait tout citer, et du Bourgeois et de l’auteur, l’un abondant en conseils l’autre en perspectives, les deux illustrés par des dizaines de miniatures qu’on arrive enfin à comprendre et à lire à leurs lumières respectives. Le Moyen Âge se découvre, vaste et large.
Karin Ueltschi, Vivre en bourgeoise au Moyen Âge. Les leçons du Mesnagier de Paris (1393). Les Belles Lettres, 274 p., 25,90 €