Civilisation
Juste un souvenir
Avec Myriam Boyer. Mise en scène de Gérard Vantaggioli. Avec la participation de Philippe Vincent
Article consultable sur https://politiquemagazine.fr
Une œuvre théâtrale ou littéraire est avant tout générée par l’âme du créateur, sa propre expérience, le plus profond de son intimité. Mais le récit et le style de la narration sont inhérents à l’époque de la création et à son contexte historique.Éclairage, en écho au Roi Lear joué actuellement au théâtre de la Madeleine.
Lear, Roi de Grande-Bretagne, réunit ses filles, leurs maris et son fidèle ami le comte de Kent pour leur annoncer sa volonté de quitter le pouvoir et sa décision de diviser son royaume entre ses trois filles, Goneril, épouse du duc d’Albany, Régane, épouse du duc de Cornouailles et Cordélia, plus jeune fille de Lear, courtisée par le duc de Bourgogne et le roi de France. La part la plus importante sera remise à celle qui se déclarera la plus aimante envers son père.
Les deux aînées flattent leur père et témoignent avec une véhémence feinte de leur affection filiale, alors que Cordélia reste sincère et avoue qu’elle devra partager un jour la moitié de son affection à son futur mari bien qu’elle aime profondément son père.
Lear, déçu par le peu d’empressement de Cordélia, la déshérite et la chasse. Parallèlement le comte de Gloucester vit une situation parallèle ; il est le père d’Edgar et d’un fils illégitime, Edmond. Ce dernier trahit son père et le trompe au détriment d’Edgar pour obtenir l’héritage auquel son statut de bâtard ne lui donne pas droit.
Edgar est obligé de fuir et se déguise en mendiant sous le nom de Tom. Edmond, lui, s’allie avec Goneril et Régane qui ourdissent un complot pour se débarrasser de leur père. Le comte de Kent, a été exilé par Lear, pour avoir soutenu Cordélia. Toutefois il reste fidèle à son Roi et décide sous un déguisement et un faux nom, Caius, de revenir auprès de Lear pour le protéger. Le Roi blessé par l’ingratitude et la méchanceté de ses filles à son encontre, quitte son château et brisé par la douleur, se retrouve en compagnie de son Fou sur une lande désolée et sombre dans la démence.
Kent part à leur recherche et les retrouve sur la lande où une tempête s’est levée. Il trouve un abri dans une hutte où se terre un être à demi nu qui a l’apparence d’un fantôme. Il se nomme lui-même « le pauvre Tom ». En fait il s’agit d’Edgar, qui tient des propos incohérents que Lear qualifie dans son délire de « philosophie ». Durant ce temps Gloucester devient prisonnier de Régane et Cornouailles qui lui crève les yeux. Jeté lui aussi sur la lande, il est aidé par un vieux paysan puis par « le pauvre Tom ». Il ignore naturellement l’identité de son fils et tente de se jeter du haut d’une falaise.
Sur un fond de guerre imminente avec l’armée du roi de France qui vient de débarquer à Douvres, Kent envoie un gentilhomme de confiance rejoindre Cordélia pour l’informer du sort réservé à son père. Cordélia le rejoint pour l’embrasser tendrement et lui demande sa bénédiction pendant que Lear lui implore son pardon.
L’armée britannique est déjà proche de Douvres et la bataille a eu lieu. Les Anglais sont victorieux mais Lear et Cordélia sont emprisonnés. Edmond ordonne à un capitaine de les exécuter alors qu’Albany réclame que le roi et la reine lui soient remis pour être traités selon leur rang. Edmond refuse pendant que Régane et Goneril se disputent pour obtenir ses faveurs. Albany met fin à cette sinistre comédie et arrête Edmond.
Un champion se présente pour affronter en duel Edmond, il s’agit d’Edgard, qui, sans révéler son identité, gagne le combat contre son frère. Il raconte alors comment il a secouru son père en se faisant passer pour « le pauvre Tom » et le paysan secourable. Mais le pauvre Gloucester est mort d’épuisement après avoir appris la droiture de son fils légitime injustement banni et la forfaiture de son fils bâtard.
Goneril empoisonne Régane et se poignarde. Mais Edmond dans son agonie avoue d’avoir donné l’ordre de pendre Cordélia dans sa cellule en simulant un suicide. Il est trop tard pour la sauver, et Lear apparaît, le corps de Cordélia dans ses bras, veut croire encore qu’elle est vivante, mais il s’illusionne, Cordélia est morte !
Ce n’est qu’en 1783, que la pièce, dans une traduction de Jean-François Ducis, sera représentée à Versailles puis à l’Odéon par les Comédiens Français.
Plus près de nous, John Gielgud l’avait joué à l’Old Vic Theater, en 1931, puis Laurence Olivier en 1946, à l’âge de 39 ans, dans le même théâtre, avec une interprétation très remarquée d’Alec Guinness dans le rôle du fou.
La mise en scène la plus célèbre fut celle de Peter Brook en mai 1962, avec Paul Scofield dans le rôle de Lear et Alec McCowen dans celui du fou.
Au TNP, en 1967, Georges Wilson a monté la pièce traduite par Maurice Clavel, dans laquelle il tient le rôle titre.
On ne saurait omettre, la création du 23 avril 1970, au Théâtre des Amandiers à Nanterre, mise en scène et jouée par Pierre Debauche avec une distribution éclatante qui réunissait entre autres Paul Crauchet (le fou), Maurice Bénichou (Edgar), Gérard Desarthe (Edmond), Danièle Lebrun (Régane),. Nous pouvons affirmer en tant que témoin, que le travail des comédiens au cours des répétitions était fascinant, et la mise en scène rejoignait la quintessence de l’œuvre.
On passera sur le dernier Festival d’Avignon, où la pièce fut présentée dans la cour d’honneur du palais des Papes, par Olivier Py avec Philippe Girard qui tenait le rôle de Lear. L’accueil fut plus que mitigé.
Auparavant, au cours de la saison 2006 2007, le metteur en scène André Engel, s’attela à ce chef d’œuvre en compagnie des acteurs Michel Piccoli (Lear) et Gérard Desarthe (Kent). On notait déjà dans cette version la présence de Jean-Paul Farré, dans le rôle du Fou. Le parti pris de la mise en scène constituait à moderniser l’espace et le temps pour rendre plus actuel la tragédie. Lear était un chef d’entreprise moderne, sorte de magnat, entouré de cadres obséquieux, avec un défilé de séquences proche de l’art cinématographique.
La représentation au Théâtre de la Madeleine à laquelle nous avons assisté, semble s’être inspirée de la vision d’André Engel. Toutefois cette position, au demeurant, brillamment défendue et argumentée, ne nous est pas apparue convaincante. Certes, l’époque qui se déroule à la fin des années folles avec les prémices d’une seconde guerre mondiale, qui inclut les risques de désagrégation des nations, les crimes les plus odieux, la longue chute vers la décadence puis au cours du conflit, les batailles navales, les bombardements incessants et la crainte de l’envahissement et des débarquements, pourrait avoir de nombreuses similitudes avec la période élisabéthaine.
Mais l’ampleur du langage, la démesure des personnages, les haines politiques, nous semblent bridés, presque amenuisés par ces personnages engoncés dans leur costume trois pièces, évoluant dans des salons bourgeois, et surtout le fait de transformer un souverain sacré en chef d’industrie cinématographique qui nous mène dans une impasse et fait fi de l’intemporalité de l’œuvre.
Toutefois, certaines séquences, utilisant pour décor l’envers des portants du plateau, imageant châteaux, forêts ou landes désertiques, sont bienvenues ; théâtre dans le théâtre et rappel des scènes anglaises de l’époque qui n’utilisait qu’un élément de décor ou un panneau pour indiquer le lieu de l’action.
Mais le metteur en scène, Jean Luc Revol, est avant tout un grand artiste, et nonobstant son inclination pour un peu de tape à l’œil et de provocation, il possède un art consommé pour agencer avec harmonie les différentes phases de l’œuvre et demeure un expert en direction d’acteurs. L’osmose qui existe entre les partenaires de cette brillante distribution, est totale, et chaque interprète tient sa partition avec la fougue et la profondeur qu’exigent ce type de répertoire. On citera particulièrement la perversité de Goneril (Marianne Basler), la cocasserie de Denis D’Arcangelo dans le rôle du Fou, l’immense prestation de José-Antonio Pereira, tour à tour Prince Edgard et Tom le mendiant.
Dans le rôle d’Edmond, Arnaud Denis campe avec panache la cruauté de cette créature démoniaque. La naïveté, le désespoir et l’insupportable martyr que subit Gloucester sont incarnés par l’excellent Jean-Paul Farré. Enfin, dans le rôle du Roi Lear, potentat, ridicule, parfois bouffon, atteint de folie sur une lande désertique, première antichambre de l’enfer, royal dans sa splendeur comme dans sa déchéance, Michel Aumont ! Magistral ! Shakespearien !
Le Roi Lear de William Shakespeare
Adaptation et Mise en scène Jean-Luc Revol. Avec Michel Aumont, Marianne Basler, Bruno Abraham-Kremer, Agathe Bonitzer, Anne Bouvier, Olivier Breitman, Frédéric Chevaux, Denis D’Arcangelo, Arnaud Denis, Jean-Paul Farré, Nicolas Gaspar, Éric Guého, Martin Guillaud, José-Antonio Pereira et Éric Verdin. Assistant à la mise en scène, Sébastien Fèvre. Décors de Sophie Jacob. Costumes de Pascale Bordet. Lumières de Bertrand Couderc. Son et musique de Bernard Vallery. Les scènes de combat sont réglées par Albert Goldberg.
Théâtre de la Madeleine
19, rue de Surène Paris 8ème
Téléphone : 01 42 65 07 09
Du mardi au samedi à 20h, le dimanche à 17h / Places : 10 € / 55€