De la Ligue communiste révolutionnaire au site Internet Boulevard Voltaire, le parcours intellectuel et professionnel de Robert Ménard est celui d’un homme libre.
Il s’excuse poliment pour son léger retard. Mais la rencontre a bien lieu, dans un bistrot du XIVe arrondissement. Tant mieux, car Robert Ménard est rarement là où on l’attend. Longtemps catalogué « de gauche », forcément « de gauche » pour avoir fondé et dirigé pendant 23 ans une association de défense de la liberté de la presse, il publie depuis quelques années des opuscules qui lui valent les foudres de l’establishment : en 2011, ce fut Vive Le Pen ! et, en 2012, Vive l’Algérie française ! On s’étonne d’une telle constance dans la « provocation » ? A l’écouter, il s’agit juste d’apporter sa pierre à une liberté d’expression qu’il s’inquiète de voir de plus en plus malmenée. « Je me suis fait lyncher par des journalistes qui n’avaient pas lu ces livres, uniquement parce que les titres leur déplaisaient ! ».
Robert Ménard a beaucoup de chose à dire sur les médias et le monde journalistique. Débarqué de RTL à la demande de la société des journalistes, la même mésaventure lui est arrivée, presque simultanément, à I-Télé. Anecdote significative : le directeur de la rédaction de cette chaine du groupe Canal + avait purement et simplement déprogrammé une de ses émissions avec l’africanologue Bernard Lugan. Raison invoquée ? « Je n’ai pas vu l’émission, mais Lugan est un fasciste » !
De cette étonnante conception de la pluralité des opinions, il tire aujourd’hui un amer constat : « La liberté d’expression, oui, mais pour leur expression ! 90% des journalistes ne valent pas la corde pour les pendre » ! Lui le sait aujourd’hui mieux que personne : en France, toute expression autorisée a des allures idéologiques.
De la LCR à RSF
Né à Oran, issu d’une famille pied-noir rapatriée en 1962, Robert Ménard grandit dans un environnement où la politique est une affaire importante. Sur le ton de la défaite, on parle beaucoup des « événements ». L’OAS vit ses dernières heures. Un de ses oncles, coupable d’avoir piloté un avion de putchistes, fera même de la prison. A sa manière, le jeune Robert Ménard se révoltera lui aussi contre le pouvoir gaulliste, mais de l’autre côté de la barrière. En mai 68, il fait fermer le collège Saint Gabriel de Saint Affrique, dans son Aveyron maternel ou il est scolarisé. C’est le début d’une activité militante qui le fera adhérer à la Ligue communiste révolutionnaire, puis au Parti socialiste. Parallèlement, il se lance dans le journalisme, non pas tellement par passion pour le métier, mais parce que celui-ci est un moyen incomparable de diffusion des idées.
En 1975, il fonde une radio libre émettant clandestinement sur la région de Montpellier, ce qui lui vaudra 73 inculpations pour atteinte au monopole d’état. A l’un de ses procès, François Mitterrand sera son témoin de moralité. Cette période le fait aujourd’hui sourire : « Notre radio s’appelait Pomarèdes, du nom de ce bandit du XVIIe siècle que nous tenions pour le Robin des bois français ». Vérification faite, il s’avère que le bandit en question n’était qu’un vulgaire détrousseur sans foi ni loi. La pureté de l’engagement gauchiste commence à apparaitre pour ce qu’elle est : une illusion. Il quitte le PS en 1981, dégoûté. La victoire à peine acquise, les camarades se chamaillent déjà pour obtenir les meilleures places.
S’ensuit une carrière dans la presse régionale et la création, en 1985, de sa grande œuvre : Reporters sans frontières. Une organisation à laquelle il se consacrera 24 heures sur 24, sept jours sur sept, avant de passer la main en 2008. Il se souvient de quelques coups d’éclat comme ces manifestations mondiales contre l’attribution des Jeux Olympiques à la Chine. « Quand on veut, on peut, c’est une des convictions qu’il me reste de mes engagements de jeunesse », précise-t-il, non sans une certaine nostalgie.
Est-ce la raison pour laquelle il s’est mis en tête de briguer la mairie de Béziers aux municipales de 2014 ? Béziers, « sa » ville, qu’il ne reconnaît plus, car, dit-il, « les politiques qui se sont succédés à la mairie l’ont conduite au bord du gouffre ». Pour cela, il s’efforce de rassembler une liste « transcourants », indifférente aux étiquettes de partis : « On peut être en désaccord sur la situation en Syrie, mais s’entendre sur ce qu’il faut faire à Béziers ». Liberté de parole toujours.
Après un bref passage à la radio et à la télévision, terminé comme on le sait, Robert Ménard se consacre actuellement à sa maison d’édition, Mordicus, que dirige son épouse, Emmanuelle Duverger. Il vient également de lancer un site web qui propose des papiers de réaction à l’actualité, loin du conformisme ambiant de la presse dite « d’opinion » : Boulevard Voltaire, pied de nez au Rue 89 de Pierre Haski. « Il s’agit, explique-t-il, de penser librement sans être contraint par une ligne partisane ». Et de se tenir loin de toute idéologie, ce mal français. N’est-ce pas finalement la meilleure des façons de faire véritablement de la politique : en homme libre ?