Il y a un an, Abu-Bakr Al-Baghdadi se proclamait calife. Dans le même discours, prononcé dans une mosquée de Mossoul au premier jour du ramadan, il simplifiait le nom de son organisation pour la désigner tout simplement « Etat islamique, » sans référence géographique. Ce triste anniversaire est l’occasion de revenir sur la portée de cette proclamation et d’en analyser la réalité.
L’État islamique a largement dépassé le stade des organisations terroristes connues jusque-là. Non seulement par ses effectifs, sa cruauté ou le nombre de ses victimes, mais en sublimant le procédé du terrorisme. Le terrorisme associe toujours une organisation criminelle à une volonté idéologique ou un projet politique : en frappant les opinions publiques par des actions violentes, il rend acceptable, par comparaison, un état de fait qui ne l’était pas. Aucun groupe terroriste n’a atteint l’ensemble des revendications qu’il affichait, mais tous ont fait progresser leur cause même si on a parfois du mal à faire le lien entre un groupe et un projet politique (qui existe pourtant nécessairement, ne serait-ce que pour avoir des financements et des soutiens). Après s’être développé en profitant de l’impunité dont il bénéficiait dans l’Est syrien, Daech (acronyme arabe de l’Etat islamique en Irak et au Levant) a réussi à donner corps à son projet tout en continuant à le propager par un terrorisme renouvelé.
Daech est en particulier devenu le premier groupe terroriste qui ait réussi à « intégrer » ses relais médiatiques en exploitant internet et les réseaux sociaux. La méthode des attentats spectaculaires qui font avancer une cause par à-coups émotionnels a ainsi fait place à une cruauté quotidienne, savamment mise en scène dans le désert syrien et diffusée régulièrement. Que les opinions publiques se lassent déjà de ces vidéos abominables signifie-t-il qu’elles sont déjà résignée à l’existence de l’État islamique ou bien que la méthode s’est usée trop vite ? Daech occupe en tout cas durablement l’espace cyber-médiatique où il diffuse son programme et ses méthodes, fait connaître ses succès, se joue de l’action de ses adversaires dont il exploite les contradictions.
Deuxièmement, l’État islamique a mondialisé et vulgarisé le terrorisme. Il propose des modes d’actions relativement simples, qui peuvent être mis en œuvre facilement, sans besoin de coordination par un réseau international structuré. En se proclamant calife, Al-Baghdadi met à la disposition de tous les musulmans un label efficace. Cette internationalisation du djihad révèle le projet qui anime Daech : promouvoir partout dans le monde l’islam radical et l’application de la charia. Si l’État islamique n’occupe aujourd’hui qu’une partie du Levant, il se propage partout. Le cœur du califat est un modèle, les autres wilayas sont des stades moins avancés de ce projet mondial tandis que les pays occidentaux sont des terres à conquérir de l’intérieur.
Enfin, et c’est l’aspect le plus délicat à appréhender mais celui qui confirme le point précédent, Daech réussit à articuler les dimensions locales et globales qui rendent son projet politique robuste. C’est à la fois un groupe international qui attire des jeunes du monde entier en quête d’absolu et une réalité ancrée dans des territoires : il tient compte de leurs particularismes, des organisations politiques déjà en place, de l’aspiration des peuples qui y vivent. Tout en les façonnant à son idéal islamique, ce qui provoque tout de même des résistances… Il compose avec les conflictualités latentes ou déjà actives pour mobiliser les combattants qui ne seraient pas prêts à mourir au nom d’Allah.
On peut heureusement penser que ce projet n’est pas réalisable car l’homme aspire à la paix et non à la guerre perpétuelle, l’application stricte de la charia est un enfer pour les peuples qui finiront par rejeter l’organisation qui l’impose, le positionnement « hors système » du califat n’est pas tenable sur le temps long. Cependant, la croissance de l’Etat islamique est loin d’être entravée et la propagation de son idéologie se poursuit inexorablement. Tant que des autorités musulmanes reconnues n’en auront pas dénoncé l’absurdité, il fera des émules. Et tant qu’on ne proposera pas une identité et un sens à l’existence conforme à la sagesse millénaire de notre culture occidentale chrétienne, il restera une menace grandissante pour nos sociétés.