Le Front national traverse, depuis quelques semaines, une crise assez sérieuse. Le fondateur du parti, Jean-Marie Le Pen, a été mis le 4 mai dernier sur la voie de l’exclusion. Et sa fille entend bien l’y laisser. Avec quelles conséquences ?
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Le bureau exécutif du Front national (FN) a décidé, le 4 mai dernier, de supprimer le titre de président d’honneur, créé en 2011 pour le fondateur du parti, Jean-Marie Le Pen. Comme le prévoient les statuts du FN, cette mesure sera soumise à une assemblée générale extraordinaire des adhérents frontistes, dans les trois mois, soit avant le 4 août. Le fondateur a aussi été suspendu de son statut d’adhérent. Ces sanctions, prises en l’absence de l’intéressé qui jugeait sa comparution « contraire à sa dignité », devraient être confirmées. Elles signifieraient alors la fin d’un privilège ainsi que la fin de règne et d’influence pour « le Vieux », comme il est affectueusement appelé par les militants. La mise à l’écart de Jean-Marie Le Pen (JMLP) fait suite à son entretien dans Rivarol où il réaffirmait que les « chambres à gaz ne sont qu’un détail de l’histoire » (propos pour lesquels il avait déjà été condamné) et dans lequel il témoigne de toute son affection pour le Maréchal Pétain.
Quels enseignements tirer de cette crise dont certains se disent qu’elle serait orchestrée afin de parachever l’œuvre de dédiabolisation du Front national menée par la propre fille du « Menhir » (autre surnom de JMLP), Marine Le Pen ?
Scission de 1998
La première et principale leçon est que le FN survivra à cette crise, car ce n’est pas la première fois que ce parti en traverse une grave. Chacun se souvient de la scission de 1998 avec Bruno Mégret qui était parti avec une grande majorité de l’équipe dirigeante. Le « félon » avec « ses ramassis d’ingrats et d’aigris » comme les avait qualifiés Jean-Marie Le Pen, avaient créé leur propre parti : Le Mouvement national républicain, Bruno Mégret n’ayant pas réussi « son puputsch » jusqu’à se réapproprier juridiquement la dénomination FN. C’est d’ailleurs Marine Le Pen, avocate, qui avait défendu les intérêts de son père. à Jean-Marie Le Pen, il restait alors l’essentiel : c’est-à-dire la base, ses militants qui l’ont suivi comme un seul homme, même si les élections suivantes (européennes de 1999) avaient été désastreuses pour les deux partis : le FN stagnait à 5,7 % et le MNR à 3,28 %. Bruno Mégret avait voulu tuer son père spirituel un peu trop tôt. On jugeait déjà Le Pen (père) fini. L’élection présidentielle de 2002 et sa qualification pour le second tour (avec 16,86 %) ont rejeté Bruno Mégret dans les limbes et les ténèbres de l’histoire. Il a complètement disparu de la scène politique et repris son poste au Conseil général de l’environnement et du développement durable. Il était ingénieur général des ponts, des eaux et des forêts. Il a pris sa retraite en avril dernier.
Normalisation
Aujourd’hui, la donne est totalement différente. Même si l’exclusion de JMLP s’apparente étrangement à celle de Bruno Mégret (sur le plan disciplinaire s’entend), force est de reconnaître que l’âge du Menhir joue en sa défaveur. à 86 ans, l’eurodéputé sait que sa carrière est derrière lui. Ses dérapages verbaux deviennent de plus en plus inaudibles et de moins en moins crédibles face à une société qui a une autre vision de l’Histoire. En tout cas une vision plus proche des sensibilités du FN à la version Marine. L’image du père et ses idéaux ne correspondent plus à ce qu’elle a forgé depuis 2011, date de son accession à la présidence du parti frontiste. Ce qui agace le Vieux, c’est que sa fille parvienne à faire aussi bien que lui. L’œuvre de normalisation qu’elle a entreprise lui a permis de porter bien haut les valeurs du FN et de rassembler au-delà du noyau dur de son père. N’a-t-elle pas permis que le Front devienne le premier parti de France, loin devant l’UMP et le PS qui, seuls, ont du mal à atteindre les 20 % ?
Vu de l’intérieur, le FN est solide. Le Pen veut créer un nouveau mouvement. Soit, mais il part relativement seul et comme Bruno Mégret, il ne rassemble plus beaucoup de monde derrière son nom. Chaque membre du FN lui sait gré d’avoir porté le FN sur le champ médiatique et politique mais tous estiment que le Menhir a fait son temps. Il a d’ailleurs passé la main. Preuve supplémentaire que cette crise n’en est pas vraiment une, le FN n’a comptabilisé que « douze retours de cartes sur 85 000 adhérents statutaires. Et je ne compte pas les nouvelles cartes qui se sont ajoutées depuis », a déclaré Florian Philippot, le 13 mai dernier sur RTL.
Crise d’adolescence
Le deuxième enseignement est que cette crise va être courte et ne pas marquer durablement les esprits. En fait, les Français mais aussi les militants assistent à une crise de croissance du FN : une sorte de crise de la quarantaine doublée d’une crise d’adolescence. Après quatre années à la tête du FN, le déménagement de Saint-Cloud à Nanterre, une campagne présidentielle, les législatives, les sénatoriales, les municipales et les départementales, Marine Le Pen s’est imposée dans le paysage politique. Elle incarne le nouveau FN et cherche à s’émanciper de la figure tutélaire du Père et aussi des idéaux parfois anachroniques d’un parti vieux d’une quarantaine d’années.
Bon sang ne saurait mentir
Le troisième enseignement est qu’avec cette crise d’autorité entre deux forts caractères, Marine Le Pen est devenue le chef, le seul et vrai chef. Comme l’était son père. Certes elle l’est devenue un peu par la grâce du père, mais elle est maintenant aux commandes comme JMLP le fut en son temps, pendant 40 ans, entre 1972 et 2011. Maintenant, la présidente du FN entend bien que sa ligne de conduite, les statuts, soient respectés. L’affectif n’entre en rien en ligne de compte. Tout le monde doit être derrière la « cheffe » ! Comme les autres adhérents, JMLP doit rentrer dans le rang et se conformer à la ligne du parti auquel il a adhéré. Bon sang ne saurait mentir et l’indulgence en matière disciplinaire n’est pas une qualité première au FN.
Anciens et Modernes
Le quatrième enseignement est que cette crise d’autorité renvoie à la bataille des anciens contre les modernes. Le Front national n’a fait ces deux dernières décennies que récupérer les valeurs abandonnées par la droite et la gauche : la patrie, le travail, l’effort, mais aussi la famille (Manif pour tous), même si, sur ce dernier point, les Internautes se sont plutôt lâchés sur la toile en disant notamment : « MLP va a voir du mal à défendre les valeurs familiales » après son clash avec son père. A vrai dire, JMLP ne se reconnaît plus dans le FN qu’il a créé. Il en veut à sa fille d’avoir un peu trop dépoussiéré le parti et de s’être laissée influencer par des personnes à ses yeux peu recommandables, tel Florian Philippot, vice-président du parti frontiste. C’est oublier que la sociologie des militants s’est diversifiée en s’ouvrant aux homosexuels, aux Français d’origine étrangère qui veulent défendre les valeurs d’un pays qui leur a accordé une seconde chance, etc. Du coup, il est certain que le FN change pour devenir, selon les normes actuelles, un parti de gouvernement. Mais jusqu’où ?
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