Civilisation
De nouveaux types de dictature qui attestent le retour de la prévalence de la Realpolitik
Le caractère révolu des dictatures fascistes et communistes.
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La soprano Karina Gauvin revisite en chansons ses racines familiales et celles de la québecité. Avec Marie Hubert, Fille du Roy, elle nous livre une originale et délicieuse pépite invitant à se replonger dans l’histoire franco-canadienne.
Plus d’un siècle après sa découverte par Jacques Cartier, la Nouvelle-France ne comptait que 3 000 âmes réparties sur une zone de 460 000 km2. Bien que le Conseil du Roi lui suggérât d’abandonner sa « colonie amériquaine », le jeune Louis XIV préféra en 1663 dissoudre la Compagnie des Cent-Associés pour instaurer une autre administration qui dirigerait ce vaste territoire comme une province française avec à sa tête un gouverneur, un intendant et un évêque.
Toutefois, dans ce monde en pleine expansion où le commerce des fourrures occupait essentiellement des hommes, l’implantation coloniale stagnait. Il importait de corriger ce déséquilibre et de stimuler sa croissance démographique.
Le Roi confia à Colbert la tâche de sélectionner des femmes à marier pour les envoyer en territoire canadien. Elles furent principalement choisies dans les couches pauvres de la population et les orphelinats. Venues spécialement de la Nouvelle-France pour le recrutement, madame Bourdon et mademoiselle Estienne privilégiaient les candidates jeunes, sans défaut physique, intelligentes, robustes, saines et vertueuses. Chaque postulante devait en outre fournir un certificat de bonne conduite. Quelque 250 filles furent recrutées à la Salpêtrière, transformée en hospice pour femmes démunies par Louis XIV en 1656. D’autres vinrent de Normandie et de l’Ouest de la France. On estime qu’un peu plus de 60 % d’entre elles étaient issues des villes, tandis que près de 28 % provenaient de la campagne. Intéressant contraste si l’on considère que la plupart des hommes qu’elles épousèrent outre-Atlantique étaient issus du milieu rural.
Les services royaux payaient leur passage en Neuve-France, leur fournissaient un trousseau et du matériel de couture. Le roi leur offrait une dot à leur mariage : 50 livres pour une roturière (100 livres pour une fille d’origine plus noble) – ce qui représentait l’équivalent du salaire annuel d’un ouvrier de ce temps-là – ainsi que l’attribution d’une terre de 30 arpents (10 hectares) au minimum.
La plupart embarquèrent à La Rochelle ou à Dieppe. La longue et éprouvante traversée, plus de six semaines dans des conditions précaires, fut mortelle pour les moins résistantes. Le 30 juin 1663, L’Aigle d’Or accostait enfin à Québec avec à son bord le premier contingent de trente-cinq volontaires.
Elles étaient accueillies dans une atmosphère festive, logées dans des familles de bonne réputation ou dans des établissements religieux, comme la Congrégation de Notre-Dame de Montréal. C’est sa fondatrice, Marguerite Bourgeoys, qui utilisa le terme « filles du Roy » pour décrire les arrivantes qu’elle recevait pour un temps d’apprentissage et de formation (20 % seulement savaient écrire). Elles jouissaient d’un avantage notable pour l’époque : la liberté de choisir leur époux ! et se marièrent en moyenne cinq mois après leur débarquement. Beaucoup étant originaires de Paris, elles contribuèrent à la diffusion et à la normalisation de la langue française en Nouvelle-France.
En dix ans, 764 tentèrent l’aventure. Pour chaque enfant, elles recevaient une somme supplémentaire. La population de la province passa de 3 200 habitants en 1666 à 6 700 en 1672. Deux tiers des Québécois en seraient aujourd’hui les descendants. Ces humbles filles de la nation furent reconnues « mères fondatrices » de la Nouvelle-France.
Caressant depuis plusieurs années l’idée d’enregistrer des chants folkloriques, la soprano canadienne Karina Gauvin eut un déclic lorsque sa cousine lui parla de ses recherches généalogiques et de leur ancêtre Marie Hubert. « L’idée me vint de raconter l’histoire de Marie sous la forme d’un journal intime accompagné de chants traditionnels, explique Karina. Tous les éléments se sont mis en place comme par magie. Un fil conducteur permettait enfin de relier les chansons entre elles et de leur donner un sens, de les ancrer dans la réalité de la vie d’une femme courageuse. »
Orpheline de père, Marie Hubert fut recrutée à Saint-Sulpice et embarqua à Dieppe sur la frégate Saint-Jean-Baptiste au printemps 1670. Elle avait quinze ans. La paix avait été signée avec les Indiens en 1667 et la perspective d’une existence prometteuse emporta son adhésion. Elle épousa Nicolas Fournier un mois après son arrivée à Québec et le couple s’installa dans une « cabane » à Charlesbourg. Elle engendra cinq enfants tout en œuvrant bravement aux tâches de l’exploitation agricole dans une contrée aux hivers rudes.
Une vingtaine de chansons traditionnelles – acadiennes, québécoises et françaises – illustre un journal fictif rédigé par Karina, narrant les épisodes de la vie de son aïeule. Le disque-récit s’articule chronologiquement en sept tableaux : Jeunesse, Traversée, Mariage, Maternité, Labeur, Décès, Nouvelle vie.
Nulle prétention ici à une hypothétique restitution authentique. Les harmonisations datent de la première moitié du XXe siècle et sont signées par les Canadiens Gabriel Cusson, Ernest MacMillan, Michel Perrault et Oscar O’Brien. Claude Lapalme les a instrumentées pour quatuor à cordes, quintette à vent, harpe et piano, ce qui les éloigne du caractère populaire pour se rapprocher d’un conventionnel habillage savant destiné à accompagner une voix large et généreuse.
De la sémillante Belle rose du printemps émanent des effluves de Il était un petit navire. Les accents poignants de Ah ! Toi, belle hirondelle évoquent Berlioz et Duparc. De par leur immédiate attractivité, Isabeau s’y promène et C’est la belle Françoise figurent parmi les pages particulièrement réussies. Charles Emile Gadbois composa d’émouvantes mélodies comme le rondeau Pardonnez-moi mademoiselle et surtout la sombre complainte Légende canadienne. La sobriété touchante de Sainte Marguerite contraste avec l’enjouement de J’entends le moulin (siamois de J’entends le loup, le renard,…). Quant à la romance Le clocher du village, elle a du mal à cacher son origine lyrique et semble échappée d’un opéra de Dalayrac ou Philidor.
L’ensemble du programme, homogène, intelligemment ordonné, interprété avec goût, alternant pétulance et mélancolie, suscite l’enthousiasme de l’auditeur. Alors concluons comme il se doit : Vive la Canadienne !
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