Monde
« Nos dirigeants actuels invoquent souvent la révolution »
Un entretien avec Ludovic Greiling. Propos recueillis par courriel par Philippe Mesnard
Article consultable sur https://politiquemagazine.fr
Au nom des « intérêts vitaux nationaux », le gouvernement de Hong Kong fait de la surenchère sur la loi de Sécurité Nationale de 2020 en introduisant de nouvelles clauses de « sauvegarde ». Avec la refonte totale de l’article 23 de la Constitution, cinq nouveaux délits apparaissent. De la trahison à l’espionnage, y compris depuis l’étranger, il n’y aura plus de trous dans la raquette.
La vengeance est un plat qui se mange froid. Le 19 mars 2024 est salué comme un jour historique par le sinistre mais catholique John Lee, le chef du gouvernement, candidat unique de Pékin élu en 2022 : « Un moment historique que nous avons attendu 26 ans, huit mois et 19 jours… ». C’est presque un aveu : en 1997, la Chine avait signé avec l’Angleterre un Traité sur la rétrocession de Hong Kong avec une formule de semi-autonomie connue sous le nom d’« un pays, deux systèmes ». Elle a fait long feu.
L’Assemblée législative a voté à l’unanimité pour modifier un article qui a déjà fait couler beaucoup d’encre et de sang, l’article 23. 181 clauses, 212 pages : la prison à vie sera requise pour trois nouveaux crimes, a trahison, l’insurrection et l’incitation de forces armées chinoises à la mutinerie. 14 ans de prison contre toute personne manifestant publiquement son intention de commettre un acte de trahison ou ne dénonçant pas des actes de trahison commis par d’autres — la Terreur pur jus. Jusqu’à 10 ans de prison pour la sédition. La collusion avec des puissances étrangères aggrave systématiquement la sanction.
En 2003, la première tentative de Pékin de modifier cet article pour – déjà – “lutter contre la trahison, la subversion et la sécession” avaient conduit 500 000 manifestants dans la rue. En 2019, le retrait du projet de loi d’extradition (de tout justiciable hongkongais sur le continent) avait mis en ébullition pro-démocrates et étudiants dans le centre du quartier des affaires et sur les campus. Des manifestations très violentes avaient vu s’affronter la population et la police. Une vague d’emprisonnements et une loi de Sécurité Nationale implacable avaient suivi. Tandis qu’une autre loi de Sécurité Nationale était mise en place par Pékin pour l’ensemble de la République Populaire de Chine.
En 2024, les autorités de Hong Kong sifflent la fin de la partie. Pour souligner l’importance du « vote », le président de l’Assemblée a tenu à y participer contrairement à l’usage, s’enthousiasmant d’assister à la « naissance de [son] fils biologique ». Il risque d’être monstrueux. La « consultation locale » préalable, menée à toute vitesse – « full speed », selon les mots de John Lee –, n’aura duré qu’un mois au lieu de trois et se sera soldée par une approbation populaire très crédible de 98, 6 %.
Depuis 2020, la loi de Sécurité Nationale cible les délits de sécession, subversion, terrorisme et collusion avec les puissances étrangères. Elle a fait entrer la capitaliste et démocratique Région autonome de plain-pied dans le communisme, sans autre réaction internationale significative que celle des États-Unis de Trump. Cinq nouveaux délits ont fait leur apparition dans la nouvelle version de l’Article 23. Le vol de secrets d’État et l’espionnage, dont la définition couvre à la fois les « décisions politiques majeures », « le développement économique et social » et « les affaires extérieures ».
Le sabotage vise les individus qui le commettent « intentionnellement » ou « par imprudence » (sic), « les actes informatiques » et « la publication de la vie privée des policiers ». L’ingérence de l’étranger contre des autorités locales ou nationales comprend tout « soutien financier » ou toute « application de directives de gouvernement, d’organisations politiques, ou d’individus ». L’insurrection dans le cadre d’un conflit armé et la trahison sont les derniers clous pour fermer le cercueil des libertés selon une expression anglaise reprise ces jours-ci à propos de Hong Kong. La trahison sera invoquée pour des « entraînements militaires non autorisés », mais aussi pour « la complicité par non-dénonciation ». La dénonciation, arme bien connue des totalitarismes plus ou moins déguisés.
Dans le cas de Hong Kong, jusqu’à 14 ans de prison seront requis contre une personne qui ne dénoncera pas quelqu’un dont il aurait à connaître un fait de trahison, a déclaré début mars à la Chambre le Secrétaire à la « Justice », l’impitoyable Paul Lam. Or le délit de non-dénonciation remettra en cause le secret de la confession de l’Église catholique et impactera d’autres confessions chrétiennes en plus d’être une violation de l’Article 18 de la Déclaration universelle des droits de l’homme. Emmenés par le Britannique Benedict Rogers, seize experts anglo-saxons ont lancé le 13 mars un cri d’alarme. Ils en appellent au pape François et à tous les responsables religieux dans le monde. Nos évêques s’illustreront-ils pour la défense de ces catholiques chinois ? D’autant que les attaques contre le secret de la confession renvoient à une actualité française récente.
Et que la communauté catholique de Hong Kong ne peut décidément pas compter sur son nouvel évêque comme elle pouvait le faire sur Monseigneur Zen : le diocèse s’est fendu d’un communiqué le 15 mars pour rassurer les catholiques sur le secret de confession et les appeler à respecter la Loi de Sécurité Nationale… en somme à être de bons citoyens, comme dirait le pape François. L’évêque timoré aurait toutefois négocié en sous-main avec les autorités pour épargner les jeunes.
Les observateurs internationaux des droits de l’homme pointent d’autres violations : les procès à huis clos, l’« élimination de certaines procédures » pour « accélérer » les procès intentés au nom de la sécurité nationale, la détention préventive sans chef d’inculpation pendant quinze jours, le droit du gouvernement d’interdire les organisations ou les entreprises jugées « travailler pour des puissances étrangères ». Pour faire fuir les investisseurs internationaux, il n’y a pas mieux. Une contradiction totale avec le slogan affiché d’une stabilité économique restaurée après le chaos. Pour clore le tout, il reste aux communistes la botte secrète héritée de l’ancienne loi de la colonisation anglaise : l’inculpation pour sédition.
Le fait de posséder chez soi des « publications séditieuses », même si elles datent d’une époque révolue, devient un acte de sédition. C’est ce qui adviendra à des Hongkongais qui auraient le mauvais goût de conserver chez eux des exemplaires d’anciens journaux d’opposition comme l’Apple Daily. Une menace réelle qui fait écho au simulacre de procès en cours contre le patron de presse Jimmy Lai, en prison depuis trois ans pour sédition et collusion avec l’étranger. Plus de jury comme c’est la coutume à Hong Kong mais trois jeunes juges qui recueillent les faux témoignages d’anciens collaborateurs dont certains sous la torture. Son issue n’est pas un mystère : la prison à vie.
Le 9 mars, des discussions au sein de l’Assemblée ont porté sur le défunt journal. Le député Peter Koon s’interroge : « L’Apple Daily est totalement séditieux… Quelques personnes ont envie de de garder une ou deux copies chez elles pour garder un souvenir de ce journal complètement nul… Est-ce que cela en fait la possession d’une publication séditieuse ? ».
Réponse des représentants du gouvernement — qui évitent de nommer l’Apple Daily à cause du procès : une publication même ancienne peut être séditieuse et sa possession peut être utilisée dans des procès futurs sans tenir compte de la date de sa publication. Le secrétaire à la Sécurité Paul Lam précise qu’un collectionneur de l’Apple Daily pourrait avoir besoin d’invoquer « l’excuse raisonnable » (sic). Les gens de Hong Kong sont en train de se débarrasser de tous leurs exemplaires — tiré à 1 million d’exemplaires, le dernier numéro, du 25 juin 2021, s’était vendu comme des petits pains. Paul Lam soutient que l’approche du gouvernement est « absolument conforme aux standards internationaux des droits humains ».
Au-delà du cas de l’Apple Daily, de son patron et de ses journalistes, la sédition concernera toute tentative de réforme de la loi et toute critique de la République Populaire de Chine, où une nouvelle Loi sur la protection des secrets d’État s’appliquera le 1er mai.
Illustration : « Ça dit exactement à tout le monde : n’essayez pas de mener des actes ou des activités qui mettent en danger la sécurité nationale, car les remises de peine ne sont généralement pas autorisées. Ne défiez pas la loi. » John Lee.