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Trump redux ?

Trump sera-t-il élu ? Son Project 2025, dont les médias parlent à peine en France, montre qu’il s’y prépare minutieusement. Si son discours anti-immigration et anti-wokisme parle au peuple américain, son positionnement « chrétien national » risque de lui aliéner les femmes, quel que soit leur bord politique, et une partie de ses futures mesures isolationnistes paraissent n’être qu’un affichage de façade.

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Trump redux ?

Depuis le « Super Tuesday » du 5 mars, l’investiture républicaine pour Donald Trump paraît assurée. Et les sondages le donnent vainqueur contre Joe Biden en novembre. Certes, il y a encore des aléas : le système électoral présidentiel est très complexe, et ouvert à des fraudes (en particulier le vote par correspondance). Certes, le président Biden a son âge, et on ne peut rien exclure. Quant à Donald Trump, ce qui domine ce sont les incertitudes judiciaires. En fait, il s’agit d’une course de vitesse : retarder le verdict des instances en cours jusqu’au jour de l’élection. Il peut y arriver, et la Cour Suprême l’a déjà aidé en statuant qu’un État (le Colorado, en l’occurrence) ne pouvait pas, à lui seul, l’exclure du processus électoral. Mais enfin, on verra.

Sur le fond, la grande force de Trump dans l’électorat, c’est qu’il est fermement hostile à l’immigration. Sa faiblesse, à mon avis (pour les Américains dans leur ensemble, pas pour tous les électeurs républicains), c’est sa réticence à l’égard de l’avortement. Or sur ce point les dames américaines sont déchaînées (pour ou contre). Les mois qui viennent vont voir des slogans, et un minimum d’annonces programmatiques de la part des candidats (de programmes au sens européen du terme, il n’y en aura pas, et personne ne les lirait d’ailleurs).

Un programme en forme de manuel opératif, le Project 2025

Même si Trump est essentiellement pragmatique et impulsif, à la différence de 2016 et à la faveur des primaires, il a complètement refondé les cadres du parti républicain et fait soigneusement préparer l’entrée en fonction et les fameux « 180 premiers jours ». Une centaine d’organisations, regroupées autour de la Heritage Foundation, fondée en 1973 et pilier en son temps du reaganisme, ont rédigé un programme en forme de manuel opératif, le Project 2025, de 920 pages.

Ce programme prévoit un renouvellement massif et immédiat de l’administration fédérale pour l’aligner sur les nouvelles orientations, par de nouvelles nominations. Ces orientations correspondent à l’aboutissement d’un phénomène déjà ancien : la montée de l’évangélisme conservateur, affirmant une forme de « nationalisme chrétien ». Ainsi, l’avortement serait interdit. Ensuite la reprise en mains du Département de la Justice, devenu largement indépendant de l’Exécutif depuis le Watergate (scandale des années Nixon). Un refoulement massif de l’immigration illégale, en utilisant les forces de police et la Garde nationale des États républicains. Utiliser la liberté d’expression, droit très fermement ancré dans la Constitution, pour lutter contre les tentatives d’imposer les théories du Genre et le « wokisme » par le biais de la législation. Une profonde refondation de l’Éducation, pour que les vœux des parents soient respectés et le Genre et le wokisme bannis.

En ce qui concerne la politique extérieure, les États-Unis se retireraient du FMI et de la Banque mondiale. Quant à l’OTAN, les États-Unis ne s’en retireraient pas mais imposeraient aux Européens de prendre à leur charge la mise sur pied des effectifs conventionnels nécessaires sur le continent.

Un programme qui suscite des doutes

Certes Trump ne s’est jamais senti lié par un quelconque programme. Mais on aurait tort de prendre à la légère le Project 2025 sous prétexte qu’il ne correspond pas à la doxa européenne. En 1964, on avait fait ici des gorges chaudes du programme néo-conservateur du sénateur Barry Goldwater, candidat républicain aux présidentielles, et battu par Lyndon B. Johnson. Mais ce fut très exactement le programme suivi par Ronald Reagan à partir de 1981…

Certains points du programme, en particulier tous ceux qui visent à lutter contre l’immigration illégale et l’emprise du progressisme dans la législation, les médias et l’enseignement, me paraissent susceptibles de recueillir une large adhésion dans le pays. Pour d’autres je serais beaucoup plus sceptique, comme en particulier l’interdiction de l’avortement ou la vision d’ensemble « nationale chrétienne » qui reste, à mon avis, structurellement minoritaire. La campagne peut réserver des surprises. C’est pourquoi je ne suis pas certain, encore aujourd’hui, de l’élection de Trump.

S’agissant de la politique extérieure – qui nous concerne, alors que la politique intérieure américaine ne nous concerne pas, quelles que soient les modes et la soumission intellectuelle et morale envers les États-Unis qui règnent ici –, j’éprouve des doutes. Les États-Unis tirent de grands avantages du FMI et de la Banque mondiale (en particulier le rôle dominant du dollar, donc un « Bar is open » permanent pour les finances publiques américaines depuis les années 1970 et le « choc Nixon », quand Washington s’est dégagé des disciplines monétaires que comporte le FMI). Je les vois mal quittant ces organismes alors que la Chine souhaite établir un ensemble monétaire mondial rival. Et les milieux financiers et économiques y réfléchiront à deux fois.

Trump n’est pas l’horizon européen

Quant à l’OTAN, il faut relire le Pacte atlantique. Son article V prévoit certes l’assistance à un membre victime d’une agression, mais si cette assistance peut être militaire, elle ne l’est pas obligatoirement, elle peut se contenter d’être économique, financière, etc. En fait, Trump ne fait qu’agiter une menace d’abstention militaire qui est incluse depuis 1949 dans les textes. Le point essentiel, c’est le retrait éventuel des forces américaines en Europe. C’est plus important que les questions juridiques ou les discours et postures. Étant donné que ces forces servent aussi de relais et de place d’armes vers le Moyen-Orient et l’Asie centrale, j’éprouve les plus grands doutes quant à leur éventuel départ…

D’autre part, au cours de son premier mandat, s’il a été au départ conciliant envers la Russie, il s’est durci progressivement à partir de 2018, et je considère qu’il a été relativement plus ferme à l’égard de Moscou que son prédécesseur Obama.

Mais de toute façon, les Européens n’ont pas, à aucun point de vue, à intérioriser la campagne électorale américaine actuelle comme ils le font. Si Trump est élu, le monde ne s’arrêtera pas. La vraie question est de savoir si les Européens, Trump ou pas, sauront retrouver un minimum d’autonomie économique et stratégique et, avant tout, d’autonomie morale ?

 

Illustration : « Letitia James est le pire et le plus odieux procureur général des États-Unis » : un ton un peu différent des hommes politiques français.

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