France
Blocage politique momentané, ou décomposition du système ?
L’évolution de la situation politique française est très préoccupante. Mais est-ce conjoncturel, ou le signe d’une décomposition profonde ?
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Il y a beaucoup d’excellentes raisons d’accueillir avec un haussement d’épaules le discours « d’autorité » tenu par Gabriel Attal devant l’Assemblée Nationale le mardi 30 janvier.
Cet appel à la restauration de « l’autorité », combien de fois l’avons-nous entendu ? Tellement de fois que nous ne saurions plus les compter. Et si nous l’avons entendu si souvent, c’est bien évidemment que jamais les paroles n’ont été suivies d’effets. Nous pouvons le constater pour ainsi dire tous les jours de nos propres yeux, personne ne pourra nous abuser sur ce point. Qui est-ce donc qui défie en premier lieu l’autorité de l’État, l’autorité de la loi, l’autorité « républicaine » dont aiment à se gargariser nos politiques ? Les délinquants de tous ordres tout d’abord. Les immigrés illégaux ensuite. Les premiers manifestent l’impuissance de la justice, les seconds manifestent l’impuissance de la nation tout entière.
La justice va-t-elle cesser d’agiter un sabre en bois ? Les « cités sensibles », qui sont en vérité des forteresses du crime, vont-elles être démantelées ? Les criminels vont-ils être punis à la hauteur de leurs actes ? Non, bien sûr. La France va-t-elle enfin reprendre le contrôle de ses frontières et de sa substance ? Les pompes aspirantes vont-elles être démantelées et les illégaux renvoyés ? Si vous êtes prêts à croire ça, c’est que vous êtes prêts à croire n’importe quoi. Régler ces deux problèmes, ou même simplement obtenir des améliorations tangibles, est absolument hors d’atteinte pour qui n’est pas prêt à abattre les idoles de « l’État de droit » et de la « construction européenne. »
L’autorité est donc à nos gouvernants successifs ce que la sobriété est au capitaine Haddock : une forme de comique de répétition. Mais la raison la plus décisive pour laquelle un sourire apitoyé est ce que mérite le discours de Gabriel Attal, c’est ce dernier qui l’a énoncé lui-même. À la fin de sa péroraison, Attal a déclaré : « Être Français en 2024, c›est, dans un pays qui il y a 10 ans seulement se déchirait encore sur le mariage pour tous, pouvoir être Premier ministre en assumant ouvertement son homosexualité. »
Gabriel Attal considère donc qu’il est très important, qu’il est entièrement légitime « d’assumer ouvertement son homosexualité ». C’est-à-dire qu’il considère qu’il est très important, qu’il est entièrement légitime pour un individu d’exposer publiquement ce qui est ordinairement considéré comme le plus privé : l’usage qu’il fait de ses parties génitales. La règle générale qu’il énonce implicitement est que l’individu a le droit imprescriptible et inaliénable de se voir « reconnu », c’est-à-dire publiquement approuvé et soutenu, dans ses particularités et ses choix les plus intimes. En conclusion de son premier discours de politique générale, le Premier ministre Gabriel Attal exalte donc non pas le citoyen agissant, mais l’individu jouissant.
Comme le dit Pierre Manent, la vérité effective de « Mai 68 » a été la délégitimation des règles collectives. « C’est la détente qui désormais fait loi, ou donne la loi. Elle fait apparaître toute contrainte comme inutile et arbitraire, vexatoire en un mot, qu’elle affecte la vie civique ou la vie privée. » L’exaltation de l’individu et de ses infinies particularités est au cœur de cette détente. Et l’exaltation de l’individualité est directement opposée à toute forme d’autorité, qui est précisément soumission à une règle ou à une volonté extérieure à soi-même. En mettant en avant son intimité, en présentant cette exposition de l’intime comme une exemple éminent de progrès désirable, Gabriel Attal affirme donc que la « détente » est une bonne chose. Il valide qu’elle fasse désormais loi ou donne la loi. C’est à peu près comme s’il avait conclu son discours « d’autorité » par « Il est interdit d’interdire ».
Gabriel Attal, tout comme d’ailleurs l’ensemble de notre classe politique, devrait méditer le profond axiome politique énoncé par de Gaulle dans Le fil de l’épée : « Il n’y a pas d’autorité sans prestige ni de prestige sans éloignement. » Et la raison pour laquelle notre Premier ministre, et notre classe politique tout entière, est incapable de se conformer à cette vérité essentielle est également énoncée dans cet ouvrage : les conditions du prestige « imposent à ceux qui veulent les remplir un effort qui rebute le plus grand nombre ». C’est un « état de lutte intime », « une contrainte incessante » qui prive le chef des « douceurs » de l’abandon et de la familiarité. Toutes choses qui font absolument horreur à nos politiques, comme Gabriel Attal l’a rappelé sans s’en rendre compte. Dans le fond, la réponse la plus appropriée au discours de Gabriel Attal tient en une phrase, à la manière de Zazie (je parle évidemment du personnage de Queneau) : « Autorité ? Mon c*l ! » Ce qui, loin d’être grossier, serait se situer exactement sur le plan choisi par le Premier ministre lui-même.