Pour nous éclairer ou nous confondre, nous sommes abreuvés de statistiques. Elles ne présentent que deux défauts : elles sont parfois erronées, ceux qui les citent ne savent pas les interpréter. Mais les chiffres paraissent si vrais !
Sami Biasoni, qui est philosophe et sait lire les statistiques, lui, décrypte l’usage de ce recours si fréquent aux chiffres quand il s’agit de fabriquer une vérité. Son essai, Le statistiquement correct, sous-titré Critique de la déraison numérique, pointe cette apparence de vrai, ces chiffres qui en fait ne prouvent rien car ils ne mesurent pas ce qui est en jeu. Le chiffre objective, c’est certain, mais décrit sans finesse : ce qu’il agrège perd en saveur, en qualité, et une statistique bien choisie peut éclairer un débat mais certainement pas constituer un argument en soi. Violences, immigration, inégalités sexuelles, l’auteur fouille les statistiques présentées comme définitives, montrent les biais et les insuffisances, les erreurs très statistiquement correctes d’interprétation, le règne des corrélations abusives, voire les œillères des progressistes qui torturent les chiffres sans aucune pitié. Les exemples surabondent, els preuves sont claires, l’auteur ne rétablit pas de “bons” chiffres, il montre comment on tire de mauvaises conclusions. La dernière partie, « Précis d’autodéfense statistique en démocratie », renvoie les vérificateurs professionnels à leur état de journaliste (je ne voudrais pas paraître méprisant) et énonce huit principes qui devraient gouverner et le discours politique dans son recours aux chiffres, et la production statistique par les instituts, qui manquent de déontologie, et l’usage que les médias font de ces sources – vaste chantier. En tout cas, l’ouvrage, juste un peu ardu, est d’un constant bonheur dans la manière dont il définit son objet, le considère et en tire de vraies conclusions sur la rhétorique des chiffres.
Sami Biasoni, Le statistiquement correct. Éd. du Cerf, 2023, 264 p., 20 €