C’est l’une des plus grandes manifestations de l’après-guerre. Dans la foule battant le pavé, le consensus était de mise. Mais, derrière le rideau, deux fractures importantes sont apparues. Reportage.
Une foule impressionnante… A 13h30, bien avant le début de la manifestation officielle place de la République, la foule remontait déjà les Grands Boulevards en ce dimanche 11 janvier.
La rue de Turbigo pleine à craquer. La place de la République est encore loin
A 15 heures, le début du cortège partait. Mais ce n’est qu’à 17 heures que les derniers arrivés aux alentours de la place de la République pouvaient enfin débuter leur marche. Un nombre important de personnes tentait de rejoindre le cortège beaucoup plus loin, entre République et Nation, provoquant là aussi des encombrements.
Une mobilisation à la hauteur de la peur
L’ampleur de la mobilisation est à la hauteur de la peur qui a pris les Français après la tuerie islamiste de Charlie Hebdo. Jeudi et vendredi soir, les bars du centre de Paris étaient vides. La population a été saisie. La marche d’hier, l’une des plus grandes de l’après-guerre au regard des défilés dans les autres villes de France, tenait-elle de l’exorcisme pour conjurer la peur ?
Atmosphère de consensus : le public applaudit à tout rompre les officiels sortis du cortège
Pancartes, discussions, slogans : aucun sujet fâcheux n’a été abordé par les manifestants. Le thème de l’islam était absent des affiches, tout comme celui de l’immigration qui l’a importé. Un homme, seul, brandissait un hors-série du journal satyrique intitulé « La vie de Mahomet », l’un des numéros mis en cause par les mouvements islamistes. Seuls mots d’ordre des manifestants : « Charlie ! Charlie ! » et la Marseillaise, les uns et les autres collant souvent à la sensibilité politique des manifestants.
L’une des rarissimes pancartes sur l’islam (hors-série de Charlie Hebdo)
Et pourtant, des fractures, il y en eut. Il faut les chercher ailleurs que dans les foules imposantes présentes hier sur le pavé. La première fracture est de toute évidence ethnique et religieuse. Les populations arabo-musulmanes ou africaines étaient quasiment absentes des cortèges hier. Un fait éclatant, et potentiellement lourd de conséquences.
La France « plurielle » absente des cortèges
La seconde fracture se trouve au niveau des élites. La « marche républicaine » pour « la liberté d’expression » a été organisée par des membres du PS, qui a invité la plupart des partis français ainsi que des responsables étrangers critiqués par l’association Reporters sans frontières. En revanche, un mouvement politique n’a pas été convié : le Rassemblement bleu marine, qui a attiré en France entre 20% et 40% des voix aux élections générales ou partielles en 2014.
Pendant ce temps, l’un des rares écrivains musulmans modérés du pays, Malek Chebel, était invité par les cinq groupes de presse qui détiennent l’audiovisuel en France pour défendre l’islam. Et France 2 donnait longuement la parole à la mère de l’un des militaires tués il y a deux ans par le tueur islamiste Mohamed Merah. La femme était voilée, car sa famille est musulmane.
« Ceux qui ont commis ces actes n’ont rien à voir avec la religion musulmane » s’empressait de tweeter l’Elysée sur son compte officiel le 9 janvier, deux jours après la tuerie de Charlie Hebdo. « Je ne veux pas faire le censeur (…) mais je pense que l’expression ‘islamiste’ n’est probablement pas celle qu’il faut utiliser », indiquait le même jour le ministre des affaires étrangères Laurent Fabius sur Europe 1, en forme d’avertissement aux journalistes.
En France, en 2015, il n’est plus permis de parler d’attaque islamiste. En France, en 2015, une femme voilée parade sur les plateaux de la plus grande chaîne de télévision publique. Les terroristes ont marqué des points.