C’est un mémorial. Non pas l’histoire d’une vie, encore que beaucoup en soit dit ; plutôt le récit d’un itinéraire intellectuel. Et pas n’importe lequel.
Tout le monde a lu ce genre de confessions faussement sincères qui se veulent en même temps des leçons de conduite, si abondantes dans la littérature contemporaine, où les auteurs se racontent eux-mêmes en répétant ce qu’ils pensent et qui n’a généralement que fort peu d’intérêt malgré le ton prétentieux et péremptoire de leur jugement ; par exemple, du type de l’homme de pouvoir qui s’imagine faire encore l’intéressant en écrivant ses mémoires quand est passée la période où il a joué l’important, sans jamais percevoir le caractère grotesque de sa vanité étalée. Il est toujours des foutriquets pour se croire supérieurs à l’histoire.
Non, là, c’est tout différent. Notre ami Gérard Leclerc n’a cessé, il est vrai, de faire de la politique, en quelque sorte lui aussi et lui plus que tout autre, comme une vocation, donc de la vraie politique, mais sans avoir le moindre moyen pratique – ni donc la tentation, car c’en est une – de peser sur la vie politique nationale, sauf par influence intellectuelle… et encore !
En revanche, grâce à cette liberté, il a mené et mène toujours une réflexion de fond et qui vaut mille fois par sa qualité et sa richesse les tonnes d’analyses déversées par tombereaux depuis des années sur notre malheureuse actualité. Et d’autant plus que Gérard Leclerc n’envisage pas la politique dans la petite sphère étriquée des poncifs républicains indéfiniment rabâchés et dans les limites sans perspectives de la laïcité républicaine qui sert de référence unique et obligatoire à tant de discours publics et qui est aussi vaine que stupidement bornée. Non, sa politique s’ancre et se définit dans une anthropologie, dans une philosophie aussi large que précise, fondamentalement thomiste, mais ouverte à toute la pensée même la plus moderne qu’il ne cesse de découvrir, de travailler, de critiquer, dans le bon sens du terme, et de synthétiser dans sa propre pensée. Et cette philosophie est évidemment théologique, comme chez tous les grands esprits, de Platon à Heidegger – et chez nous à un Pierre Manent –, sauf que la théologie de Gérard Leclerc est consubstantielle à sa foi déclarée dont il est évident qu’elle éclaire toute sa réflexion, de même qu’elle illumine tout son parcours dans la seule espérance du Bien, du Beau, du Vrai. Ce n’est pas à lui de le dire, mais ses amis le savent bien.
La vérité et la charité sont au-dessus de tout
Car Gérard Leclerc a eu et a encore beaucoup d’amis, qui sont la preuve de sa charité spirituelle et effective. Beaucoup d’aménité dans le regard, dans la compréhension et dans l’intelligence approfondie de l’autre, y compris de l’adversaire. Il suffit de lire ses chroniques pour se rendre compte de cette vraie bienveillance intellectuelle qui est si rare de nos jours. La méchanceté lui fait horreur. Et les grossières erreurs que charrie avec elle une prétendue modernité et qui visent à détruire l’essence même de l’homme, pareillement.
Dans ce mémorial, il parle de celui qui reste son maître, Charles Maurras, avec une belle hauteur de vue et une chaleur dont on devine qu’elle lui brûle le cœur. Malgré toutes les réserves qu’il pose – on n’est pas forcément d’accord avec lui sur toutes ces questions, il le sait et peu importe au fond ! –, c’est bien lui, le maître de Martigues, qui guide encore son esprit. Et tout tourne autour de cette figure qu’il s’efforce de déchiffrer, ses « grandes amitiés » à lui, en quelque sorte : Boutang, Debray, Thibon et tout le cercle des maîtres de l’esprit qui rayonne sous sa plume. Oui, de Simone Weil à Lustiger qui pourtant n’était pas maurrassien – loin de là ! –, mais avec qui il s’entendait fort bien, car la vérité et la charité sont au-dessus de tout. Fort heureusement. Et s’il y en a un qui le pense, c’est bien Gérard Leclerc.
Au-delà de tant de controverses, d’allers-retours où chacun choisit sa voie, il reste le mystère. Le mystère de Dieu, bien sûr, Un et Trine, le mystère des âmes qu’il ne faut pas souiller, le mystère de la France qui se cache dans le mystère de la légitimité royale ; et ce que montre fort bien notre ami, mystère de la politique – oui, c’en est un – ; et, aussi étonnant que cela paraisse, à l’encontre des explications fournies dans tous les discours officiels ou officieux, mystère de Maurras lui-même, secret de sa personnalité, profondeur inouïe de son langage qu’il faudra bien un jour enfin entendre, même si le mystère, comme tout mystère, ne saurait être élucidé par des propos humains, nécessairement réducteurs. Merci, Gérard. Très intelligente préface de Frédéric Rouvillois. Le texte réunit des articles parus dans La Nouvelle Revue universelle et dans France Catholique.
Gérard Leclerc, Une autre Action française, Préface de Frédéric Rouvillois, Éditions de Flore ; 274 p. ; 10 €.