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Accélérations

À une heure et demie de voiture du centre du Caire pousse une ville. Une cité entière, avec ses hôtels, son parlement, ses ministères, ses mosquées et sa cathédrale. Bienvenue à la « Nouvelle Capitale Administrative », non encore nommée, dans laquelle les principales institutions égyptiennes devraient déménager dans les mois à venir.

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Accélérations

Tout est flambant neuf et procure une impression grandiose. Le visiteur se frotte les yeux, hésitant entre le mirage, la réalité virtuelle et le jeu vidéo. Sur des kilomètres et des kilomètres, les nouveaux bâtisseurs se préparent à accueillir un million de personnes dans un premier temps et peut-être dix à terme.

Si le GPS a encore quelques difficultés à assister les chauffeurs dans ce dédale inattendu, les autorités savent déjà orienter le visiteur. Ici la banque centrale, là les locaux du Premier ministre, et, au loin, les palaces. Ce n’est pas fréquent, une capitale qui déménage, dans l’une des plus vieilles civilisations du monde. Il faut dire que la population égyptienne ne cesse de croître. Elle a doublé en seulement quarante ans, abandonnant toutes les capitales aux embarras de l’exiguïté. Investisseurs, gouvernements étrangers, curieux, tous s’intéressent de près à l’adaptation égyptienne devant le défi démographique qui sera le fardeau et le tremplin des enfants du Nil.

Le voyageur européen a beau arriver empli de ses préventions, et même troublé par le récit de quelques employés qui auraient préféré demeurer dans leurs bâtiments historiques, l’effet est puissant. Sous nos yeux, il n’y a pas simplement un pays qui mue et qui bourgeonne. C’est toute l’histoire qui s’accélère et dont la vitesse ne manque pas d’inquiéter les sociétés européennes vieillissantes.

Des villes naissent, des phares s’éteignent

Tandis que les pays européens multiplient les initiatives pour critiquer les pays du Sud, et notamment leurs conceptions des droits politiques et sociaux, ces derniers s’organisent en nous ignorant superbement. Ainsi, le ministre égyptien des Affaires étrangères était tout récemment en Turquie pour assurer son homologue de son soutien après le terrible tremblement de terre du 6 février. Au cours du même séjour, il visitait la Syrie, quand le Quai d’Orsay continue de refuser de renouer avec Damas. Le président Assad multiplie d’ailleurs les visites d’État en ce début 2023 : Russie, Émirats, il a même repris le dialogue pour renouer des relations consulaires avec Ryad.

Dans le même temps, le roi d’Arabie Saoudite a officiellement invité, le 19 mars, le président iranien, Ebrahim Raissi, à se rendre prochainement dans son pays. Un épisode qui a ajouté une nouvelle étape à un réchauffement diplomatique inauguré par un accord surprise, annoncé grâce à la Chine, le 10 mars. Il faut avoir entendu les reportages sur Recep Tayip Erdogan, en Égypte, les accusations syriennes sur le comportement des États du Golfe et les commentaires saoudiens sur leurs rivaux perses pour estimer convenablement l’accélération diplomatique effarante qui se déroule actuellement au Moyen Orient. Des conflits insolubles connaissent désormais des apaisements soudains, ou, au moins, des moments de conciliation, comme au Yémen.

En somme, toute une architecture régionale, souvent façonnée par les guerres et les haines, est en train de muer, loin des normes que lui proposaient l’Europe et les États-Unis. La guerre en Ukraine et l’obsession occidentale à chercher l’alignement du monde entier sur des systèmes de sanctions impossibles à faire durer dans un monde multipolaire ont produit un effet d’accélération. Sa direction est loin d’épouser les platitudes qu’on entend dans les analyses policées des experts de politique internationale. Des villes naissent, des influences se dissipent, des phares s’éteignent. Il ne faudrait pas que nos torpeurs précèdent des réveils aux dehors d’affaissement.

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