Recevez la lettre mensuelle de Politique Magazine

Fermer
Facebook Twitter Youtube

Article consultable sur https://politiquemagazine.fr

Quand la mitre raille : les couacs des évêques de France

Nous sommes le 7 novembre 2022 : les médias annoncent que dix évêques, en exercice ou émérites, seraient « mis en cause » devant la justice – ecclésiale ou pénale – à la suite de signalements faisant suite aux scandales qui secouent l’Église de France.

Facebook Twitter Email Imprimer

Quand la mitre raille : les couacs des évêques de France

C’est en effet la bombe que vient de dévoiler Mgr Éric de Moulins-Beaufort, archevêque de Reims et président de la Conférence des évêques de France (CEF), à l’occasion d’un point presse. Quelques noms d’évêques sont dévoilés et contribuent à propager l’onde de choc des révélations du Rapport Sauvé. Mais le hic est que les différents noms énumérés – pour ne pas dire livrés en pâture sans aucun filtrage, ni explication préalable – révèlent des situations bien différentes. Certains évêques sont mis en cause, non pour leurs actes mais pour tout simplement avoir couvert ou refusé de dénoncer certains clercs ayant commis des abus sur des mineurs ou sur de adultes. Ce qui n’en fait pas pour autant des prédateurs, à la différence de ceux qui ont directement commis des abus. Pourtant, l’opinion eut en pâture le chiffre de dix évêques, et ce sans le moindre débroussaillage. Depuis un an, une chose est au moins certaine : la grande difficulté pour la CEF à communiquer sur un sujet sensible où elle ne fait que s’emmêler les pinceaux.

Un rapport mal ficelé

Tout commence avec le Rapport Sauvé de 2021. Les évêques sont persuadés que cette opération transparence, confié à une personnalité tierce avec une équipe dévouée, fera la vérité sur des décennies d’affaires étouffées ou dissimulées. Les évêques prévoient même une semaine difficile quelques jours avant la publication du rapport prévue le 5 octobre 2021. Puis escomptent un apaisement après. Le hic est que la polémique ne s’éteindra pas au bout de cette semaine à risque. Car entretemps, la polémique enfle avec les propos maladroits – non sur le fond, mais par leur opportunité – de Mgr Éric de Moulins-Beaufort sur le secret de la confession (sa supériorité sur les lois de la République). Son rétropédalage n’aura pas permis d’éteindre une controverse qui dure toujours : un an plus tard, les scandales ont continué à être révélés. On a juste eu la mise en place d’un tribunal pénal canonique national, qui rappelle que les procédures judiciaires et le droit canonique ont du bon si on veut combattre efficacement les abus. Mais les évêques se laissent aussi dépasser par les propositions et les suppositions du Rapport Sauvé. Pour ce qui est des propositions, le rapport glisse dans un hubris faussement réformateur, comme ses suggestions en matière de célibat de prêtre, ou méconnaît profondément la notion de pouvoir de juridiction dans l’Église, confondant gouvernement épiscopal et gouvernement au sens profane du terme. À ce titre, comment affirmer sans commettre une hérésie que l’on doit dissocier « pouvoir et puissance sacramentelle » ? Alors que ce « pouvoir » n’est pas le pouvoir au sens profane du terme et qu’il englobe notamment l’enseignement, donc le magistère, lequel ne peut être exercé que par le Pape et éventuellement les évêques en union avec lui ? Une théologie aussi flottante au niveau ecclésiologique démontre l’ampleur des propres flottements d’une CEF qui, dans la tempête, a cru s’acheter une bonne conscience en confiant à un organisme la tâche de laver un linge dont il eût été préférable qu’il le fût en famille… Tant qu’elle restait dans l’exposition factuelle des témoignages sur les abus, la commission Sauvé était irréprochable dans ses travaux. Mais le chiffre de 216 000 victimes d’abus cléricaux ne repose sur aucun fondement sérieux. Il correspond juste à une extrapolation hasardeuse, Jean-Marc Sauvé avouant n’avoir interrogé que 243 victimes et reçu seulement 2 819 courriers. Une compilation de témoignages, certes bouleversants, ne permet pas d’établir à elle seule une statistique aussi accusatrice, que les évêques n’ont pas su démentir et ont même voulu retenir, consacrant l’idée que les abus seraient « systémiques » dans l’Église. Ce rapport tortueux, qui n’aura même pas permis à son auteur d’être reçu par le Pape François – selon nos informations, il serait profondément réservé sur la méthodologie de la commission – illustre les difficultés des évêques de France qui peinent à agir par une institution qui a du mal à s’enraciner dans le paysage ecclésial français. En réalité, le caractère collectif de l’accusation « systémique » dissimule les responsabilités individuelles des évêques, éludées pendant plusieurs décennies, la CEF devenant alors le paravent souffrant et gémissant des démarches qui auraient dû être faites.

Opacité et entre-soi

Alors même qu’elle s’est targuée de transparence, la CEF est justement opaque. Sur l’affaire Rupnik – ce jésuite artiste accusé de nombreux abus sexuels –, la CEF n’a pas su répondre. Pourtant, cet artiste a réalisé quelques peintures à Lourdes, ce haut-lieu de pèlerinage, mais aussi de rassemblement épiscopal annuel. Il y a quelques années, quand les premières mesures sanitaires étaient adoptées, impliquant ainsi une restriction sérieuse à l’exercice du culte catholique, la CEF est restée bien silencieuse, laissant aux fidèles le soin de saisir en mai 2020 la justice administrative et d’obtenir gain de cause sur la repise du culte grâce au jeu d’un référé-liberté qui s’est révélé fructueux ! La CEF n’a pas non plus chercher à rassurer quand les fidèles se sont plaints en novembre 2020 de nouvelles restrictions. Sur les blessures ouvertes par le Motu proprio du Pape François à l’encontre de la liturgie traditionnelle, la CEF est restée floue : elle salue même le Pèlerinage de Chrétienté dans un tweet, mais ne sait pas comment traiter cette contestation, qui est bien celle de laïcs. La synodalité, mise à l’ordre du jour, se heurte au mur du réel. Car ce suffrage universel ecclésial est bien conservateur. Ce qui n’est pas l’un des moindres paradoxes de l’Église actuelle. Alors que les forces vives du catholicisme français sont favorables à la Tradition, la CEF semble entretenir un public vieillissant de fidèles. On sait que les jeunes ont boudé les consultations synodales, ce qui rend sceptique sur l’issue du « synode sur la synodalité », dénomination qui illustre au niveau lexical ce que signifie le fait de tourner en rond. Dans l’histoire de l’Église, on n’a guère vu de crises provoquées par les problèmes d’une institution « autoréférentielle ». Il n’y a que la modernité à produire ce genre de controverses. La CEF se veut synodale, mais la communication de la hiérarchie ecclésiale n’aura jamais été aussi verticale.

Une CEF faiblement enracinée

Il est difficile de trouver des explications à cette accumulation de couacs et de ratés. À la différence de certains pays, la CEF n’a pas su développer une véritable identité de marque pour devenir un puissant relais auprès de l’opinion publique. Les États-Unis constituent un contre-exemple : la conférence épiscopale des évêques américains, la puissante United States Conference of Catholic Bishops (USCCB), s’est imposée en prenant position dans le débat public, galvanisant ses propres fidèles. L’USCCB lance des initiatives dans le domaine de la vie, dans le refus de l’avortement. Elle propose même une boutique en ligne dans laquelle les prêtres et les laïcs peuvent trouver brochures et ouvrages pour étayer leur foi. On en est loin en France : les évêques, agissant comme si le pays était encore catholique, ont oublié que le catholicisme est avant tout une religion de combat. Pourtant, il faudra bien que les catholiques s’unissent et travaillent efficacement.

Facebook Twitter Email Imprimer

Abonnez-vous Abonnement Faire un don

Articles liés