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Jourdain, Naïm et le cerf merveilleux

Il était une fois un petit garçon qui s’appelait Jourdain, comme le fleuve où Jésus fut baptisé des mains de son cousin Jean le Baptiste. Il n’aimait pas beaucoup ce prénom que personne autour de lui ne portait.

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Jourdain, Naïm et le cerf merveilleux

Il vivait en famille dans une campagne où une forêt touffue et bien plantée voisinait avec un grand marais couvert de lotus blancs et bleus en été, et de glace en hiver. Il avait un petit frère qu’on avait appelé Naïm, sans doute en souvenir d’un jeune homme ressuscité par Jésus. Ses camarades à l’école moquaient ce prénom peu courant en lui envoyant des « Naïm le naïf », ce qui ne lui allait pas si mal, car il ouvrait de grands yeux étonnés en demandant : « Est-ce que je suis naïf parce que j’écoute Maman ? »

Cet hiver-là, il faisait bien froid, le marais était bien gelé, et les arbres étaient couverts de givre. Cela n’empêchait pas Jourdain et Naïm de courir la campagne, petits bonshommes emmitouflés qui s’amusaient à souffler des panaches de buée dans l’air piquant du matin. Or, un jour que le soleil tout rouge faisait saigner la glace et qu’une petite brise caressait les roseaux, ils marchaient vers la forêt, et l’herbe gelée à blanc craquait sous leurs pas. Ils approchaient de la lisière, lorsqu’ils entendirent un cri venant du sous-bois, un cri rauque, un peu comme un rugissement. Le rideau d’épais buissons s’écarta pour laisser passer un grand cerf ; il était majestueux, dans sa robe blanchie de givre, sa noble tête aux yeux immenses, couronnée de bois déployés. Il s’avança de quelques pas, puis se tint immobile ; ses naseaux frémissaient et il regardait les enfants.

Naïm dit tout bas à son frère : « Regarde comme il est beau, et il porte une croix sur le front !

Tu rêves, répondit Jourdain, une croix sur le front, c’est impossible, ce que tu vois, c’est une tache entre ses yeux ! 

Mais si, on voit une croix, ce n’est pas une tache, elle est toute droite sur sa tête ! »

Un cerf avec une croix sur le front

Et les deux enfants discutaient en chuchotant pour ne pas effrayer l’animal, le cadet tenant pour la croix, et l’aîné pour la tache. Ils parlaient encore lorsque le cerf s’élança en direction de l’eau en bondissant à travers la prairie ; dans sa course il portait haut la tête, il était magnifique sur l’écran du ciel. Arrivé au bord de l’eau, il s’inclina pour boire à une source que le gel n’avait pas emprisonnée. Naïm dit encore qu’il voyait la croix, et Jourdain que son frère avait besoin de lunettes, et soudain le grand cerf disparut. De retour chez eux, les deux enfants racontèrent tout à leurs parents ; ils étaient assis dans la grande pièce, où la crèche était installée à côté d’un beau sapin décoré, car Noël approchait. Ils parlèrent du cri du cerf, de sa brusque apparition en lisière, de son galop dans la plaine, ils dirent qu’il avait bu et tout d’un coup disparu. Et Jourdain se moquait de Naïm et de sa croix, et Naïm, sans se démonter, disait qu’il l’avait bien vue, vraiment. La maman, qui s’appelait Aria, finit par les interrompre en souriant, pour dire au papa : « Melchior, demain matin, tu devrais aller voir avec les garçons

Tu as raison, on ne sait jamais, et si Monsieur le Cerf venait arbitrer cette dispute ? »

Le lendemain donc, au lever du jour, ils partirent tous trois vers la forêt, la prairie et le bord de l’eau. Il avait neigé pendant la nuit, et le soleil se levait, tout doré cette fois, sur la nature infiniment blanche. Ils s’arrêtèrent au même endroit, frissonnant un peu, admirant le tapis de neige décoré d’empreintes d’oiseaux, d’un renard et de quelques sangliers. Ils entendirent le cri qui semblait un rugissement, ils virent s’écarter les buissons, et le cerf apparut dans un nuage de neige éblouissante ; sans doute possible, sur son front une croix brillait ; il tourna la tête en direction de l’homme et des enfants, qui entendirent : « Me voici revenu pour vous ! Naïm le naïf avait raison, et Jourdain devrait remercier Melchior et Aria pour son beau prénom. »

 

Illustration : Conversion de saint Hubert, in Hubert Le Prouvost, Vie de saint Hubert, copyright Gallica BnF fr.424 f.9v.

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