Les récents sondages promettent au parti de Marine Le Pen une participation au second tour de l’élection présidentielle de 2017. C’est que le Front national apparaît désormais comme le seul défenseur réel de ce qu’on appelle communément le « pacte républicain ». Faut-il pour autant s’en réjouir ?
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Dans son numéro 902 d’août dernier (1er-7 août), Marianne publie les résultats d’un sondage de l’Ifop sur les intentions de vote des Français pour la présidentielle de 2017. Ce sondage révèle que, quel que soit le candidat socialiste à l’Élysée, et dans l’hypothèse d’une candidature Sarkozy pour l’UMP, Marine Le Pen arriverait en tête au premier tour avec plus du quart des suffrages exprimés : 26 % si Hollande se représente, 26 % encore dans l’hypothèse d’une candidature Valls, 27 % si le PS choisit d’investir Montebourg. Sarkozy, lui, se retrouverait en deuxième position avec 25 % des voix dans les deux premiers cas, 26 % dans le troisième. Suivant les trois hypothèses, le candidat socialiste se verrait donc exclu du second tour. Hollande ou Valls réaliserait le modeste score de 17 % des voix, qui le placerait en troisième position. Montebourg, lui, ne réunirait que 10% des voix et serait relégué à la cinquième place, derrière Bayrou et Mélenchon.
De cette projection, on peut tirer plusieurs enseignements. Le premier, le plus évident, celui qui a suscité le plus de commentaires, est-ce possible exploit de Marine Le Pen. Le second est la déroute du parti socialiste et de toute la gauche. Il y a là de quoi faire réfléchir. Or, les journalistes de Marianne, qui a commandé ce sondage, ne semblent pas plongés dans une cogitation abyssale (ou olympienne). Leurs commentaires expriment les réactions à chaud des résultats de cette simulation, sans les dépasser par une analyse ou une réflexion débouchant sur une interprétation tant soit peu éclairante. Jacques Julliard constate les progrès constants du Front National depuis plusieurs décennies, sa capacité à rallier les suffrages de toutes les couches de la population, à commencer par la classe ouvrière (40 %), le succès de sa stratégie de dédiabolisation et le discrédit de la gauche, y compris de l’aile gauche du PS, du Front de Gauche, de l’extrême-gauche et des écologistes, toutes tendances qui ne constituent pas une réponse crédible au FN aux yeux des déçus du socialisme hollando-vallsien, lesquels préfèrent se tourner vers Marine Le Pen.
Jacques Julliard impute ce phénomène à trois éléments : « une crise de moralité publique » caractérisée par le discrédit de toute la classe politique en raison de son incapacité à résoudre les problèmes sociaux, les mensonges et dissimulations continuels de tous les partis et gouvernements sur la situation réelle du pays et les solutions qu’elle appelle, et le manque de charisme des hommes au pouvoir ou aspirant à le (re)conquérir. Mais il ne se livre à aucune réflexion sur ces divers points.
Une hypothèse aujourd’hui crédible
Il va sans dire que désormais, l’élection de Marine Le Pen à la présidence ne relève plus de la politique-fiction. Il est évident aussi que la gauche tout entière a perdu tout crédit, la droite républicaine également. Mais cela ne s’explique pas seulement par l’extrême difficulté des problèmes auxquels les gouvernements successifs sont confrontés. Et pas non plus par le ralliement des socialistes au néolibéralisme ou par les mensonges dont la classe politique a abreuvé le peuple durant trois décennies. En l’occurrence, c’est de la faillite de tout notre système politique qu’il s’agit. C’est l’échec d’un système jacobin caractérisé par l’omnipotence d’un état conçu comme démiurge et protecteur, dont les individus comme les groupes attendent les solutions à tous leurs problèmes, et qu’ils érigent en dépositaire exclusif de l’échelle de valeurs fondant leur éthique. Or, l’impuissance de cet état à résoudre ces problèmes et à affronter les grands défis d’un monde contemporain à l’évolution auquel il est profondément inadapté, est patente, quels que soient ses maîtres. Notre état, dans sa conception, ses missions, ses prétentions, est un état à bout de souffle et de ressources, usé, condamné à capituler chaque jour devant la réalité qui bafoue ses prérogatives et s’impose suivant des principes étrangers à ceux qui le fondent. Cette situation est particulièrement sensible dans la sphère économique et sociale où les contraintes de la concurrence des pays émergents à bas salaires et charges inexistantes, en un monde réduit à un marché planétaire sans frontières, ont remis en question notre niveau de vie, engendré un fort chômage persistant et endetté monstrueusement notre système de protection sociale. Le modèle keynésien a volé en éclats. Et les règles édictées par la Commission européenne ont entériné cette libéralisation de l’économie à laquelle s’adapte le mieux l’Allemagne, pays dont le système de protection sociale n’est pas étatique et se décline à l’infini suivant les Länder, les branches économiques et les entreprises elles-mêmes (tout le contraire du nôtre, monolithique, uniforme, rigide et lié étroitement à l’État).
Les français s’accrochent à un mythe
Les Français refusent obstinément d’admettre cette réalité et s’enferment dans une révolte stérile, s’accrochant à la défense d’un état producteur à lui seul de solidarité et de justice, alors même qu’ils savent l’obsolescence de cette conception. Et, si beaucoup d’entre eux se prononcent en faveur de Marine Le Pen au point de virtuellement la placer en tête du premier tour de la présidentielle à venir, c’est parce que, depuis la faillite de tous les systèmes et idéologies de type marxiste d’une part, ou relevant de la social-démocratie (en France, du dirigisme social) d’autre part, le Front National apparaît comme le dernier rempart de cette conception d’un « État protecteur », pour employer l’expression, ô combien révélatrice, de la présidente de ce parti.
Le Front de Gauche et l’extrême gauche, englués dans une religion archaïque de luttes des classes, n’ont aucune crédibilité ; et la gestion socialiste, sociale-libérale, est plus libérale que sociale, elle, n’a rien de social-démocrate, et elle ne saurait le devenir, le modèle keynésien étant périmé. Le Front National apparaît donc désormais à nos compatriotes désorientés comme le seul défenseur réel de ce qu’on appelle communément le « pacte républicain », c’est-à-dire le principe de solidarité qui unit la nation autour d’un idéal de justice et concrétisé par une politique sociale exigeante.
En cela, contrairement aux cris indignés de tous les sycophantes du système politique actuel, sa propulsion au faîte des sondages traduit non un reniement des valeurs de la République, mais au contraire un effort désespéré pour les sauver. Ce que nous révèlent les sondages récents, la simulation de Marianne en particulier, c’est que le Front National est le dernier grand parti républicain, l’héritier légitime du legs républicain. Mais cela n’a rien de réjouissant, car ce caractère républicain est la cause certaine de son incapacité à réussir là où ses prédécesseurs ont échoué : le problème, c’est l’incurie fondamentale de notre système politique. Il faut penser ailleurs et autrement.
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