Bruno Le Maire a expliqué qu’il allait porter un col roulé. Puis il s’est plaint que les gens le moquaient pour avoir parlé de col roulé. Car il ne parlait que de son col roulé et non pas des cols roulés en général. Il n’avait voulu donner qu’un exemple de vertu, la sienne, qui consiste à porter, lui, parfois, un col roulé.
Sur son twitter, Bruno pose en col roulé. Mais il continue de porter la cravate. Nous sommes perdus.
Ainsi donc, voici que Bruno Le Maire s’indigne sur sa page Facebook, dans un long texte dont les médias se sont fait l’écho, du traitement qui lui est réservé ces derniers temps dans ces mêmes médias et sur les réseaux sociaux. Lui qui porte une parole qui « exprime des décisions économiques importantes dans des temps difficiles », une « parole de pouvoir [qui] a plus de poids » que les autres – même si elle n’a pas pour cela « plus de valeur » – n’en peut visiblement plus de la polémique « col roulé » et de ce « bruit » qui « recouvre », justement, sa parole.
Car voilà : lui, le politique dévoué à « servir [ses] compatriotes », lui qui « donne le meilleur de [lui-même] pour la France », lui qui en même temps « défend des convictions » et « porte un projet économique », le voici devenu la victime innocente du « ricanement généralisé », « strident », de « singes hurleurs » ; le voici submergé par la « déferlante moutonnière » d’une « meute » qui fait le buzz autour de sa déclaration.
Une déclaration pour cela « déformée, transformée, tordue », « sans jamais que personne ne se soit donné la peine de vérifier [ses] propos », dans ce monde où, si l’on n’y prend garde, nous prévient le ministre, « le mensonge remplacera la vérité – le factice, le réel ». Car, non, mille fois non, il n’a « jamais recommandé à personne de porter de col roulé » : « Il aura suffi de faire glisser sur les réseaux sociaux mes habitudes vestimentaires en recommandations vestimentaires, pour que mes propos tenus sur France-Inter enflamment les esprits. ‘Il fait froid, mettez des cols roulés’ – on connaît des conseils plus habiles en période de vive inquiétude. Raison pour laquelle, une fois encore, je me suis bien gardé de les donner. »
Sur France-Inter donc, Bruno Le Maire avait déclaré : « Vous ne me verrez plus avec une cravate mais avec un col roulé. Et je pense que ce sera très bien, ça nous permettra de faire des économies d’énergie, de faire preuve de sobriété. » Effectivement, chacun constatera qu’il n’y a pas ici d’injonction directe à porter tel ou tel vêtement. Dont acte. Mais cet homme dont la parole a « plus de poids » que celle des autres ne pouvait que difficilement ignorer le caractère incitatif de sa phrase. En usant du « nous », il se posait bel et bien en exemple à suivre – à moins bien sûr qu’il ne pensait que son seul col roulé personnel permettrait à la France de faire de substantielles économies.
Certains des « singes hurleurs » osèrent évoquer ici une « éventuelle stratégie de communication du gouvernement » ! Mon Dieu que les gens sont donc retors… Rien à voir en effet entre le col roulé du ministre, celui du Président ou la doudoune ostensiblement portée par Élisabeth Borne. Rien à voir non plus avec le séchoir de monsieur Le Gendre – qui, d’ailleurs, préciserait avec indignation Bruno Le Maire, n’est même pas au gouvernement ! Mais, puisque l’on parle de gouvernement, rien à voir non plus sans doute avec la politique de communication établie autour du slogan : « Chaque geste compte » ; ou avec une Agnès Pannier-Runacher ânonnant devant un parterre de ministres : « Je baisse ; j’éteins ; je décale ». Non, ce n’était qu’un mot dit en passant sur une radio nationale au sujet d’« habitudes vestimentaires » personnelles.
Sur le fond de son propos, Bruno Le Maire a raison : le niveau du débat public est pitoyable. Mais notre chevalier blanc de la parole publique, n’a-t-il jamais contribué à « diffuser des paroles inexactes » ou à « transformer les propos » de certains ? Qu’il n’ait ensuite jamais explicitement conseillé aux Français de porter des cols roulés, là n’est pas la question. Et qu’il ait participé à une stratégie de communication visant à faire prendre conscience aux Français que de petits gestes quotidiens pouvaient conduire à faire baisser leur consommation énergétique, pourquoi pas ? Mais deux choses ont fait hurler « les singes ».
La première est que cette campagne s’adresse à la population aisée des métropoles, celle de la sobriété voulue, et qu’elle a pris de plein fouet le monde de la France périphérique, celui de la sobriété subie. Un monde où l’on ne porte pas en hiver un pull à col roulé en cachemire assorti à des yeux bleus que l’on aime tant, mais deux pulls mis en vrac l’un sur l’autre. Un monde où la chambre n’est chauffée que lorsque l’on ouvre la porte de communication avec la « pièce à vivre » où l’on se calfeutre le reste de la journée. C’est d’abord et avant tout ce monde qui s’est indigné.
La seconde résulte de la lassitude des Français devant l’impudeur tranquille avec laquelle certains politiques se mettent en scène pour se donner à peu de frais le beau rôle. Ce n’est pas que Bruno Le Maire annonce qu’il portera un col roulé qui choque, pas même non plus qu’il le conseille, c’est qu’il revendique par là un statut d’exemplarité qui puisse lui apporter un avantage politique
Oui, le niveau du débat public est pitoyable, mais est-ce, comme l’écrit avec indignation le ministre, à cause des « singes hurleurs » des médias et des réseaux sociaux, ou à cause de ceux qui les nourrissent de petites phrases préparées à l’avance et de ces subtils instants de communication sans lesquels il n’y aurait finalement rien eu ?
Dans cette lutte pour être le premier à communiquer sur sa prétendue exemplarité, se démarquer a un prix. Pour avoir voulu passer avant les autres, et afficher avant eux sa méritante sobriété, Bruno Le Maire a conduit tous les regards à se tourner vers lui – pour le meilleur pensait-il alors, pour le pire semble-t-il constater aujourd’hui.
Refusant maintenant d’accepter les risques du jeu, notre arroseur arrosé s’indigne d’avoir été mouillé « après quinze années d’engagement politique » et pose à la victime expiatoire. Il devrait être plus prudent. Il est heureux pour lui que les gens aient d’autres sujets de préoccupation, car il aurait à craindre sinon ce fameux « effet Streisand » qui devrait rappeler à tous, politiques compris, que, parfois, on est bien avisé de se taire. « Never complain, never explain »…