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C’est la rentrée

« Nous allons diminuer les mesures, augmenter les prix et fausser les balances. Nous pourrons acheter le faible pour un peu d’argent, le malheureux pour une paire de sandales. Nous vendrons jusqu’aux déchets du froment. »

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C’est la rentrée

L’auteur de cette évocation voulait-il choquer les partisans du libéralisme économique ? Ou en ravir les contempteurs par une formulation ironique autant que percutante ? Hypothèses peu vraisemblables concernant un contemporain de la reine Didon, de Romulus et Rémus, du roi Sargon II, et de l’immortel Homère ! Il vivait au VIIIe siècle avant J-C au minuscule royaume de Juda, dans l’actuelle Palestine ; seul le minuscule peuple des chrétiens pratiquants d’aujourd’hui l’écoute encore ; il s’appelait Amos et sa modestie lui faisait dire qu’il n’était pas un vrai prophète !

À propos de mémoire, de fantômes et du temps qui passe, il vaut la peine de lire ou de relire le Journal de l’abbé Mugnier (1853-1944) ; de 1879 à 1939, il nous fait partager ses relations avec tout ce que Paris compte de célébrités dans la haute aristocratie, la politique, les lettres, les arts et les spectacles. Cet homme de foi est un curieux mélange de snobisme candide, de compassion, et aussi d’une grande ouverture d’esprit dans un milieu de culture foisonnante où se croisent et se mélangent le vice et le talent, l’esprit fourmillant et la vanité médisante. Notre abbé est ébloui et flatté d’être reçu et même cajolé par les belles Anna de Noailles, Marthe Bibesco et autres brillantes princesses, Joris Karl Huysmans qu’il convertira, Jean Cocteau, Maurice Barrès, Paul Valéry et nombre d’autres très connus à l’époque et oubliés aujourd’hui…

On achète les pauvres avec des chèques-aumônes

Il note, souvent avec des commentaires lucides et savoureux, les aphorismes plus ou moins spirituels de toutes ces excellences, et nous livre par bouffées des aperçus émouvants des chagrins de son âme sensible. Il nous révèle son immense amour des lettres et sa prédilection enthousiaste pour Chateaubriand, le Balzac du Lys dans la vallée, ou encore Goethe. Sa vie est partagée pittoresquement entre l’administration des sacrements, la messe quotidienne, et les déjeuners et dîners mondains auxquels il assiste avec ses gros souliers et sa soutane élimée. Ghislain de Diesbach raconte qu’un jour une actrice vieillissante lui demande : « quand je passe devant mon miroir, je m’écrie : je suis belle ! Est-ce un péché ? – Non, murmure l’abbé, ce n’est qu’une erreur… » Une réplique qu’on aurait pu prêter à Winston Churchill !

Au cours de sa longue existence, l’abbé Mugnier aura connu la guerre de 1870 et les deux guerres mondiales : trois conflits qui ont meurtri et affaibli durablement la France ; l’immense majorité des Français d’aujourd’hui n’a rien connu de tel : pas d’invasion, pas de tueries massives, pas de bombardements, pas de défaite humiliante. Des progrès techniques et scientifiques inédits dans l’histoire ; une espérance de vie fortement augmentée. Voilà sans doute pourquoi notre société jusqu’à présent si préservée du malheur organise et subventionne des millions d’assassinats d’enfants, médite de légaliser l’ « aide active à mourir », laisse monter sans vraiment réagir la violence et le meurtre, tandis que les prix augmentent, que les balances sont faussées, qu’on achète les pauvres avec des chèques-aumônes, et qu’on vend jusqu’aux déchets. Le 1er septembre 1939, l’abbé Mugnier notait : « Nous voilà jetés dans l’inconnu et à la veille de terribles choses. Nous n’avons pas adouci la bête humaine. » La bête humaine est-elle adoucie en cet automne 2022 ? 

 

Illustration : L’abbé Mugnier, par la comtesse Elisabeth Greffulhe. Musée Carnavalet.

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