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Mallet, ou la subtile quiétude

Jean-Baptiste Mallet est un petit maître qui eut contre lui les mauvaises critiques des Goncourt et surtout de n’être collectionné que par des amateurs de bon goût mais sans renommée – ou alors par la Duchesse de Berry, ce qui n’a jamais été un bon passeport pour les musées républicains.

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Mallet, ou la subtile quiétude

Il peint Madame la Duchesse d’Angoulême, au tombeau de ses parents, en prière devant un cénotaphe de son invention, il peint les messes clandestines de 1792 (son cousin était prêtre réfractaire à Grasse), il peint ceux que la Révolution broie et célèbre en 1814 le retour des Bourbons ; pour être juste, il ne semble pas avoir été ouvertement en rébellion contre le Directoire et l’Empire. Disons qu’il se réfugia dans l’antiquité, et sa clientèle avec lui. Carole Blumenfeld, le commissaire de l’exposition, insiste sur la subtilité de Mallet, sur sa capacité séditieuse à suggérer que les temps passés furent meilleurs. Bénédicte Bonnet Saint-Georges, sur le site î, souligne que « Le Sacrifice à la patrie ou le départ du volontaire est censée être une scène édifiante qui montre un homme de devoir ; mais l’image est aussi celle d’un mari abandonnant dans la misère sa famille éplorée pour aller mourir au front. » 

Mallet peint surtout, inlassablement, des femmes : Jeanne d’Albret éduquant le très jeune Henri IV en lui faisant lire la vie de Saint Louis (1817), Geneviève de Brabant baptisant son fils en prison (1824), et une curieuse série de Vénus, brunes et aux cheveux bouclés à l’antique, assez déshabillées, dans des intérieurs contemporains (Les Cartes, vers 1818, où la Vénus, à peine sortie du bain, contemple un jeu étalé sur un petit bureau) ou imaginaires : La Salle de bain gothique est surtout l’occasion de nous montrer son héroïne devant une aiguière, dans ce qui est plus un salon qu’une salle d’eau, et La Somnambule (1815) nous transporte en Grèce antique, avec une Sapho dans le plus simple appareil, endormie et jouant de la harpe ! 

Il y a comme une ironie à adopter sans cesse le même dispositif d’une figure féminine principale, à peine flanquée d’un enfant, et éclairée à contrejour par une fenêtre ou illuminée par une lumière latérale, permettant à chaque fois un clair-obscur assez théâtral. S’agissait-il, comme le suggère l’exposition, de défendre les droits de la Femme, réduits à rien par la Révolution ? On comprend que le peintre cherche surtout à représenter le silence, le recueillement, la concentration, la vie intérieure, enfin, qu’il s’agisse d’être abîmée dans la prière ou juste rêveuse. La petite taille des tableaux les destine à être contemplés de près, outils de méditation où le spectateur peut, s’il le veut, avoir quelques pensées égrillardes (on dira anacréontiques pour les parer, comme Mallet, d’une certaine respectabilité) mais où le peintre lui indique une portion de bonheur calme, jouant autant de la quiétude du jour que des misères du temps pour célébrer les vertus domestiques : la piété, la tranquillité, la transmission ; et peut-être le goût de la beauté insouciante, comme sous l’Ancien Régime. 

Jean-Baptiste Mallet. La route du bonheur. Grasse, musée Fragonard,  14 rue Jean Ossola, jusqu’au 2 octobre 2022.

Illustration : La Salle de bain gothique, Salon de 1810. Huile sur panneau, 40 x 32,5 cm, Musée-Château de Dieppe.

Geneviève de Brabant baptisant son fils en prison. Salon de 1824. Huile sur toile 32,7 x 24,1 cm, Cherbourg-en-Cotentin, Musée Thomas Henry.

 

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