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Une étude en jaune ou le cinéma italien par excellence

Si, comme le disait André Bazin, le western est le genre américain par excellence, le giallo est, assurément, un genre typiquement italien. 

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Une étude en jaune ou le cinéma italien par excellence

Le giallo fait plus généralement partie de ce que l’on appelle le « cinéma bis ». Sous cette dernière appellation on vise habituellement, selon Laurent Aknin, « des films de genre à caractère populaire et commercial, à budget moyen, faible ou dérisoire, et, la plupart du temps, ignorés ou méprisés par la majorité des critiques ou des instances de légitimation, au moment de leur sortie. Cette délimitation [… ] correspond, plus ou moins, à la notion de ’’film d’exploitation’’ aux États-Unis, ou à celle, encore plus floue, de ’’cinéma de second rayon’’, ou encore à celle de ’’cinéma de quartier’’ ». Le giallo s’insère d’autant mieux dans cette définition qu’il se situe à mi-chemin entre le thriller et le fantastique, l’érotisme (parfois pimenté) et le suspense psychologique. Son ressort récurrent repose généralement sur un tueur mystérieux, dont on n’aperçoit le visage qu’à la fin, des victimes (et des coupables aussi) souvent féminines et à fort sex-appeal, une enquête policière qui piétine et, surtout, une reconnaissable esthétique propre au genre. L’atmosphère y est souvent étouffante, sinon poisseuse (L’Éventreur de New-York de Lucio Fulci) et quasiment tous les protagonistes auraient bien quelque chose à se reprocher, ce qui fait d’eux des meurtriers ou des victimes potentiels. Entre vices inavouables, perversités sordides, pulsions inassouvies et multiples dépravations sexuelles (que l’on visionne, pour s’en convaincre, Nue pour l’assassin d’Andrea Bianchi, Un Lézard à la peau de femme de Lucio fulci ou encore L’Étrange vice de Madame Wardh de Sergio Martino), le giallo, c’est le moins que l’on puisse en dire, n’offre guère une représentation des plus optimistes de l’espèce humaine. On notera, en outre, que les techniques criminelles sont savamment étudiées, lors même que le giallo se caractérise par une nette préférence pour l’arme blanche (La Fille qui en savait trop de Mario Bava, La Queue du scorpion de Sergio Martino…) : un lacet à étranglement dans Le Chat à neuf queues (Dario Argento), la lame du barbier dans L’Oiseau au plumage de cristal (du même Argento), une hache (La Lame infernale de Massimo Dallamano), etc. C’est dire que le giallo peut être décrit comme l’étude en jaune du noir – sinon de la noirceur – à l’italienne ; les personnages semblent tous frappés du sceau du fatum, au prix d’intrigues tortueuses, à l’instar des rues désertes et nocturnes des villes italiennes où se déroule l’action. Pourquoi jaune ? Tout simplement en référence à la plus célèbre collection italienne de polars de gare à couverture jaune, publiée dès avant-guerre par le milanais Arnoldo Mondadori ; l’équivalent, de ce côté-ci des Alpes, du Masque de la prestigieuse Série noire, encore qu’il serait certainement plus exact de les rapprocher des formats poches « Spécial Police » du Fleuve Noir – fondé par un fils d’immigrés… napolitains – aux si reconnaissables couvertures accrocheuses illustrées par le Bordelais Michel Gourdon – qui fit son apprentissage aux studios Pathé. Le giallo, loin d’être un genre mineur, compte de grands maîtres : Mario Bava (Six Femmes pour l’Assassin), Dario Argento (Les Frissons de l’angoisse), Massimo Dallamano (Mais… qu’avez-vous fait à Solange ?), Riccardo Freda (Le Spectre du professeur Hichcock une incursion originale du giallo dans le « gothique »), Lucio Fulci (La Longue nuit de l’exorcisme), Umberto Lenzi (Si douces, si perverses avec Jean-Louis Trintignant, récemment disparu), Aldo Lado (Qui l’a vue mourir ?), etc. Tous se frottèrent, comme assistant, chef-opérateur ou comme scénariste, aux plus grands (Luchino Visconti, Raoul Walsh, Roberto Rossellini…). Le cas de Mario Bava est exemplaire. Cinéaste de génie, touche-à-tout curieux et talentueux (il s’essaiera aussi bien au péplum qu’au western), Bava jettera les bases d’un genre très prisé des adolescents dans les années 1980 avec la série des Halloween, Vendredi 13 ou Freddy et qui connaîtra un regain certain avec des films comme Scream ou Souviens-toi l’été dernier : le slasher, films de tueurs psychopathes poursuivant leurs victimes avec une arme blanche. De ce point de vue, Baie sanglante apparaît comme l’archétype du genre. Bien que les années 1964-1975 furent des années fastes pour le giallo, le genre s’est poursuivi, avec plus ou moins de fortune, jusqu’à nos jours, dépassant même les frontières ultramontaines… Toutefois, avec Dark Glasses (2022), le vieux maître Dario Argento (81 ans) laisse un sublime opus testamentaire, renouant avec ses films des débuts. Giallo pas mort !

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