Civilisation
SYNODE : ZEN REPART À L’ASSAUT
Mgr Zen, archevêque émérite de Hong Kong, a lancé le 17 octobre sur les réseaux sociaux un « appel urgent au peuple catholique : prions pour que le synode des évêques se termine bien ».
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Ukraine et Otan, Trente et Vatican II, Américains et Européens, foi et œuvres… Le pape François aime parler de tout, à bâtons rompus, faisant part de ses états d’âme autant que de ses réflexions. Un exercice qui continue de décontenancer auditeurs et lecteurs, la parole pontificale effaçant tous les repères.
Jamais un pontificat n’a été aussi riche en propos tenus à bâtons rompus, en entretiens donnés à la presse, catholique ou non. François se moque des codes et des conventions, préférant parler de manière « cash » dans des supports qui ne sauraient engager l’Église, ni même tenir lieu de magistère. Alors même que l’enseignement de l’Église donne l’impression du flou et de la désintégration en haut-lieu, les propos qui sont en fait l’expression de la personne privée se multiplient à une vitesse vertigineuse. Le Pape n’enseigne plus mais il bavarde. À chaque occasion, il fait part de ses craintes, dont certaines sont devenues obsessionnelles, mais aussi de ses approximations. On ne compte plus les erreurs, les attaques et les piques distillées dans des supports qui n’ont plus rien de solennel mais qui prennent tout de même le chrétien et l’opinion publique à témoin. Comme dans cet entretien donné à La Civiltà Cattolica le 19 mai 2022 et dont Vatican News a publié quelques extraits le 14 juin dernier. Cet entretien, relayé en haut-lieu, exprime la pensée du Pape sur certains sujets.
Il y a d’abord ce long morceau sur la guerre en Ukraine : François confie sa douleur et ses regrets sur une crise qui divise l’Europe et le monde. Il aborde beaucoup de choses : « l’héroïsme du peuple ukrainien », les conflits oubliés dans le reste du monde, le drame que la guerre représente pour les familles, les cimetières militaires dans les lieux où le Pape s’est rendu, le tout sur fond de considérations géopolitiques (son rappel sur l’évolution de l’OTAN) et d’observations historiques (l’Ukraine est ainsi « un pays riche qui a toujours été découpé »)… Dans ce long passage, François aura donc tout dit : sa prudence diplomatique (ne pas accabler les Russes, même si le Pape souligne leur échec par l’absence de victoire éclair), son souci de l’opinion publique (le soutien aux Ukrainiens), son refus de la guerre mais aussi son hommage à « un peuple qui n’a pas peur de se battre ». Bref, on ne sait pas où le Pape veut en venir quand il aborde le sujet sous des angles multiples : on voit juste qu’il déplore ce conflit. Et après ? L’impression qui en ressort est une sorte de canevas pontifical où le Pape déploie tous ses éléments de langage. En cochant toutes les cases, il se doute que tout le monde pourra s’y retrouver : les pacifistes intégraux, les défenseurs de l’Ukraine, les russophiles, les partisans de l’identité des peuples, les soutiens de la légitime défense, etc. N’aurait-il pas été plus avisé de laisser certaines plumes s’exprimer dans des revues romaines officielles (L’Osservatore romano) par des articles substantiels ? Le seul élément original réside tout de même dans le fait que le Pape a reporté sa rencontre avec le patriarche russe Kirill, d’un commun accord avec ce dernier. C’était bien la peine de traiter de trop de choses pour avoir au moins une information importante.
Mais c’est au niveau « interne » que François se livre intimement : François se désole que l’on se souvienne plus du concile de Trente que de Vatican II. Puis il attaque le « restaurationnisme qui est venu à bâillonner le Concile. Le nombre de groupes de “restaurateurs” – par exemple, il y en a beaucoup aux États-Unis – est impressionnant. » Qui vise vraiment François ? Les catholiques qui ont essayé de redresser la barre à partir des années 1980 sous les papes Jean-Paul II et Benoît XVI ? Que signifie ce terme de « restaurationnisme », car certaines choses remises à l’honneur n’étaient pas forcément exclues des textes conciliaires ? Pour François, ces « restaurateurs » qu’il fustige « n’avaient jamais accepté le Concile. Il y a des idées, des comportements qui découlent d’un “restaurationnisme” qui, fondamentalement, n’a pas accepté le Concile. » On sait la prudence dans les cénacles catholiques dits conservateurs pour ne pas mettre en cause le Concile, malgré l’embarras qu’ont pu susciter les expressions de certains textes. On remarque, en filigrane, que François attaque surtout les catholiques américains. Il est vrai que l’épiscopat des États-Unis donne du fil à retordre dans la décomposition actuelle. Récemment, les évêques américains n’ont-ils pas exigé des responsables publics le respect de la cohérence eucharistique, qui interdit les communions sacrilèges ? La nomination du cardinal McElroy, évêque de San Diego, n’a rien changé à l’affaire, comme on l’a vu avec la récente missive des quatre évêques du Colorado (dont trois nommés par François !) qui ont demandé aux politiciens catholiques ayant voté une loi autorisant l’avortement dans cet État de ne pas communier. La pique de François est à dessein, mais pourquoi parler de façon caricaturale en fabriquant un ennemi imaginaire et fantasmé ? Comme dans l’URSS où les autorités avaient dénoncé les koulaks, ces paysans supposés riches et profiteurs. Autre maladresse pontificale : invoquer le fait « qu’il faut un siècle pour qu’un Concile prenne racine. Nous avons encore quarante ans pour le faire prendre racine, alors ! » Ce critère des cent ans est couramment entendu dans l’Église depuis les années 1970 : François reprend ainsi des lieux communs défendus par des théologiens et véhiculés par une certaine presse catholique. Mais le hic est que le Concile a déjà 57 ans (il a été clos en 1965) : si rien ne se passe dans les quarante prochaines années, faudra-t-il en déduire que le Concile a échoué ? Le critère des cent ans est maladroit et peut se retourner contre ceux qui s’attachent au Concile. Au passage, l’application d’un concile est un processus complexe. Le concile de Trente a produit des fruits à la fois immédiats et étalés dans le temps. Ainsi, en France, ce n’est peut-être qu’au XIXe siècle que l’on peut assister à sa mise en œuvre complète après le gallicanisme et le jansénisme et surtout après la bourrasque révolutionnaire. N’aurait-il pas été plus sage de dire qu’un concile reste un événement qui associe des éléments circonstanciels et quelques apports substantiels ?
Que dire aux jeunes ?
Mais la palme d’or du flou pourrait apparaître à la fin de cet extrait d’entretien : François parle des jeunes, de ce public qui a perdu la foi et la pratique religieuse et dont l’éloignement reste une préoccupation pour l’Eglise. On ne sait pas non plus très bien où le Pape aussi veut en venir : « lorsque nous travaillons avec des jeunes, nous devons toujours donner une perspective en mouvement, et non une perspective statique. » François récuse l’idée de « réunions d’études » pour discuter avec les jeunes car « maintenant, ça ne fonctionne plus comme ça. Nous devons les faire avancer avec des idéaux, des œuvres, des chemins concrets. Les jeunes trouvent leur raison d’être en cours de route, jamais de manière statique. » Il ne s’agit plus vraiment d’enseigner, mais d’être en quelque sorte des accompagnateurs. Mais pour que quelque chose pousse et croisse, ne faut-il quand même quelques semences initiales et de solides racines ? L’Église, qui est aussi Mater et Magistra selon le titre d’une encyclique de Jean XXIII, n’a-t-elle pas aussi l’art d’accompagner spirituellement ? Enfin, ne jurer que par le refus de ce qui est statique, c’est rester statique soi-même… Comme si à travers cet extrait d’entretien les autorités ecclésiales donnaient l’impression de ne plus savoir sur quel pied danser face à une modernité qui s’essouffle.
Illustration : « Arrupe était un homme d’une grande obéissance au Pape. Une grande obéissance. Et Paul VI l’a compris. […]. C’est pourquoi il est important de sauver ces figures qui ont défendu le Concile et la loyauté envers le Pape. Nous devons revenir à Arrupe : il est une lumière de cette époque qui nous éclaire tous. »
La Civiltà Cattolica, « Entretien du pape François avec les éditeurs des revues culturelles européennes des Jésuites », 14 juin 2022.