Il y a vingt ans, j’avais utilisé ce titre pour un livre sur l’éducation nationale (1). Les nouvelles étaient déjà mauvaises, aujourd’hui le mammouth est mort, il s’est enfoncé, perdu corps et bien dans les fondrières du pergélisol de la Pédagomanie, cette étrange contrée peuplée de pédagomanes dont l’éthologie réside dans la négation du savoir, l’égalisation par le bas et la détestation de tout ce qui fit la gloire de l’école et, derrière l’école, celle de la France, de son histoire et de sa culture. À l’avenir, les chercheurs pourront en étudier les restes et s’interroger sur cette extinction d’une espèce qui fit pourtant les grandes heures de la République.
De la République des professeurs à la République sans professeurs et… sans république
Pour l’heure, la République n’a plus de professeurs et ceux qui restent s’inquiètent du niveau de ceux qui arrivent, les concours du Capes ne sont plus sélectifs mais tous les postes ne sont pas pourvus faute de candidats (ils sont ainsi 816 admissibles pour le Capes de mathématiques… sur 1 035 postes à pourvoir) ; mais ne nous a-t-on pas dit des années durant que le niveau montait ! On ne le dit plus, tant le niveau des élèves est désespérant. Au surplus, ces mêmes professeurs sont prolétarisés, mal payés (les salaires sont très inférieurs aux salaires allemands), et doivent affronter le mépris de certains parents mais aussi de leurs élèves enrichis dans les trafics. Les professeurs sont devenus les ilotes de la République pédagogique. Certes, beaucoup récoltent ce qu’ils ont semé par leur parti pris de nonchalance idéologique et syndicale et de refus de leur propre autorité. Mais il en est qui, contre vents et marées, dispensent encore un enseignement de qualité et se soustraient aux lubies pédagogiques dans l’intérêt de leurs élèves, il faut leur rendre hommage comme à des résistants. Tout cela remonte à loin, lorsque l’on nomma ministre de l’Éducation le sémillant Jack Lang, ex-ministre du show-biz et de la pub, alias ministre de la Culture, dont le ministère fut une insulte permanente à l’éducation nationale qui n’avait donc pas de « culture ». En réalité, la chose remonte aux gaullistes qui abandonnèrent l’une et l’autre à la gauche tandis que le ministre Haby (sous Giscard) inventait la massification enseignante en créant le collège unique. Collège inique qui fit passer les générations montantes et nombreuses dans le même moule, celui de la médiocrité égalitariste et de la baisse du niveau. Dès lors, les ministres socialistes, à partir de 1981, n’eurent qu’à amplifier la doctrine officielle de l’EN si obligeamment concoctée par leur prédécesseurs. Au surplus, le plus tragique est que morte l’école, morte la République, le magistère qu’elle exerça jadis, en forgeant les mots du discours commun, ce magistère est mort dans l’effondrement pédagomaniaque, l’égalitarisme tueur, l’immigration de masse, la perte d’autorité du savoir et de celui qui le dispense. Et aujourd’hui la révolution racialiste et son cortège de virus aussi nuisibles que grotesques, aboutissement d’une évolution lointaine, consacre le naufrage de la pensée.
Discours de la reproduction
Il existe une école de la pédagogie, le lieu où l’on apprend à apprendre, et surtout on y discourt abondamment sur l’art de ne surtout pas transmettre le savoir. Contresens logique à la racine, l’Institut national de recherche pédagogique (2), sinécure dorée d’une pseudo-science, occupe les superbes locaux de l’ancienne manufacture de Sèvres et procède régulièrement à des opérations champagne/petits fours où je fus convié jadis, au milieu de pédagogues africains, ma foi fort contents de se retrouver là.
L’école fut injustement accusée par les gourous de la pédagogie, dès les années soixante, de permettre la reproduction des élites ; Bourdieu et Passeron, puis Meirieu, en furent les chantres criminels. Dans le même genre Roland Barthes, la coqueluche intellectuelle des petits muscadins, fils de famille gauchistes, déclara que le langage est fasciste. C’est le refus du langage réputé « bourgeois ». Une pensée néo-marxiste (et pré-wokiste, à dire vrai) accusant l’école de reproduire les inégalités sociales. Résultat, l’égalitarisme du collège unique et des 80 % d’une classe d’âge au bac. Ce faisant, nos pédagomanes fabriquaient des assignats universitaires, de la fausse monnaie scolaire qui connaît aujourd’hui le sort déprécié des assignats de la Révolution. Avec le bac, premier diplôme de l’enseignement supérieur, on n’est rien, mais sans le bac on n’a rien. L’évidence du rétablissement d’un examen d’entrée à l’université se lit dans les copies de bacheliers semi-analphabètes. Il aurait fallu diversifier les filières, promouvoir l’apprentissage, développer l’alternance (dont on commence à s’apercevoir qu’elle est une issue à ces « glandeurs de fac » qui abandonnent au bout d’un an et coûtent cher à la collectivité tout en déconsidérant le savoir universitaire, finissant dans la rue aux côtés des black blocs), et enfin sauvegarder et promouvoir les classes préparatoires constamment menacées, dernier lieu du discours logico-déductif. C’est pourquoi, d’ailleurs, certains professeurs, constatant le désastre, s’adaptent en promouvant le discours wokiste-effaciste (d’effacer, bien sûr !) qui leur permet d’éviter la rigueur de l’effort intellectuel et scientifique en s’adonnant à la pseudo-révolution de la langue inclusive, cette farce minable des esprit embués de trouvailles pseudo-révolutionnaires : l’idéologie est toujours une paresse, même si elle est parfois assassine. La figure emblématique en étant Sandrine Rousseau, un condensé de crétinisme woke, néanmoins vice-présidente de la faculté de Lille !
« Arracher l’élève à ses déterminismes »
Une fois pour toutes l’école (et l’université) n’est pas faite pour la transmission des savoirs mais un lieu de socialisation, « à vivre en communauté » selon la formule du mal nommé Louis Legrand ci-devant ex-directeur de… l’Institut national de recherche pédagogique. Aujourd’hui c’est le vivre ensemble républicain, à telle enseigne que les familles qui veulent enseigner à la maison doivent désormais remplir, pour accéder au droit à l’instruction en famille, un document qui est une infamie bureaucratique et soviétoïde, un parcours du combattant propre à décourager les meilleures volontés. C’est un scandale liberticide et une hypocrisie manifeste au regard de l’état de l’école en France. Incapable de faire une école publique digne de ce nom, la bureaucratie française interdit la progression d’instances réparatrices de cet état de fait : travail à la maison, écoles hors contrat, littéralement discriminées, et la liberté des parents est entravée, car ce qui est obligatoire n’est pas l’école mais l’instruction. Chacun sait en effet que l’école publique, sauf dans de rares îlots préservés, généralement au bénéfice des enfants de la nomenklatura, est devenue une « fabrique du crétin » (selon la formule de J.-P. Brighelli). Il est précisé en tout début de texte que l’important est « le respect des principes de la République », c’est là une imposture et une erreur intellectuelle, l’école à la maison pourrait très bien fonctionner en monarchie constitutionnelle, il y a là à la fois une erreur de pensée et une idéologie : les principes de la République étant pour le “législateur” plus importants que la connaissance et l’éveil de l’enfant, il s’agit donc non pas d’instruire mais de conformer l’enfant. Vincent Peillon, en septembre 2012, ancien ministre de l’EN, ne disait-il pas qu’il fallait « arracher l’élève à tous les déterminismes, familial, ethnique, social, intellectuel » ? Il y a dans ce personnage du commissaire politique, nous avions avec lui la version radicale du pédagogisme que n’eût pas renié un Jdanov ou un Dzerjinski. En fait de refus de la reproduction nous sommes, au contraire, dans la plus pure et seule reproduction idéologique, exit le savoir ! Qui ne comprend que la formation à l’esprit critique fait éventuellement des électeurs moins moutonniers dans leurs votes, comme les récentes élections en témoignent ? Mais surtout, en fait de reproduction, c’est un cas d’hétérotélie manifeste (3). Le refus de la transmission des savoirs a défavorisé les classes populaires. L’élitisme républicain permettait à un Pompidou, à un Senghor de parvenir au sommet, au petit orphelin pauvre des faubourgs d’Orléans, Péguy, d’entrer à Normale sup ; tous et tant d’autres n’intégraient pas la rue d’Ulm grâce à un quota de quelque discrimination positive mais grâce à une école sélective qui savait parler à leur intelligence. Cet élitisme-là est mort, la ruine de l’école est aussi une modalité de la rupture entre les élites et le peuple entre les périphéries et les territoires, la promotion par l’école n’est plus qu’une logomachie vide de sens, la démocratisation de masse a rendu l’école antidémocratique. Tout cela pour faire les cancres les plus chers du monde ; avec un budget qui a augmenté de 80 % en 30 ans, il est grand temps de cesser de remplir ce tonneau des Danaïdes.
Pap Ndiaye, le couronnement
Il est la figure opposée du Sérère Senghor, modèle d’assimilation française. Tous deux d’origine sénégalaise, mais Ndiaye est de mère française. Son modèle à lui est aux États-Unis où la rhétorique des intellectuels français des années 60 eut un grand succès sur les campus. Et voilà que ce discours nous revient sous sa forme yankee (cf. Regis Debray, Comment nous sommes devenus américains) en racialisme, radicalement contraire au modèle culturel français de la citoyenneté (4). Ndiaye est le ministre de l’Éducation nationale : cette fonction devrait lui imposer, dans ses déclarations publiques, de respecter ces familles qui ont confié leurs enfants à l’école de la République et dont beaucoup ont voté pour un parti qu’il se permet de fustiger pour flatter ses maîtres. Lui-même incarnation de l’élitisme républicain, du côté des privilégiés de la république (ses enfants ont fréquenté l’école alsacienne, haut lieu de la formation des enfants de l’élite), il va jouer les victimes alors qu’il est comme ses prédécesseurs le bourreau, par idéologie, de l’intelligence et du savoir… pour les autres.
Mais la nature pédagogique a horreur du vide et, désormais, des élèves arrivent au collège ou au lycée en kamis ou en djellaba pour les garçons et en abaya ou jilbeb pour les filles, et, pour le compte, l’habit est « genré ». Des jeunes filles refusent de retirer leur voile, et certains refusent d’aller à la piscine ou d’écouter de la musique (note du Renseignement territorial). Beaux exemples d’assimilation à l’envers, voire de grand remplacement, démontrant que laïcité et république, étendards brandis, ne sont que des sépulcres blanchis, impuissants à résoudre le problème. Avant de les invoquer, il faudrait aimer la France, sa langue, son histoire, sa littérature, sa formidable épopée scientifique et sa culture chrétienne ; il aurait fallu que les professeurs aimassent leur pays, leur métier et s’aimassent eux-mêmes.
Être une école et rien d’autre
L’éducation aura été le plus grand échec de la Ve République, le crime contre les humanités l’a tuée mais sans doute aussi la France avec elle. C’est en tout cas l’école de la République qui est en train de mourir sous nos yeux faute d’avoir compris, ainsi que le disait Jean-Pierre Le Goff, sociologue au CNRS, homme de gauche : « les jeunes ne peuvent être d’emblée des créateurs et des novateurs, ils sont d’abord des héritiers ». Maurras inspirateur du CNRS, voilà un singulier clin d’œil de l’histoire !
Pour que revive une nouvelle école, laissons le mammouth à son destin fatal, il faut et il suffit qu’on rende à l’école son unique mission d’enseigner dans le calme et la discipline, et qu’on cesse de lui demander d’être un forum politique, un service social de garderie, ou un lieu d’initiation aux mœurs déviantes en matière sexuelle ; être une école et rien d’autre. C’est ce qu’accomplissent encore quelques lycées publics et privés (mais, pour ces derniers, hélas, beaucoup s’alignent ou font même de la surenchère par exemple sur LGBT dans les écoles) et les écoles hors contrat, celles-ci assurément. On sent que les élèves de l’Éducation nationale ont été particulièrement bien accompagnés dans l’acquisition des règles du français et de l’expression écrite.
Illustration : On sent que les élèves de l’Éducation nationale ont été particulièrement bien accompagnés dans l’acquisition des règles du français et de l’expression écrite.
1. Dernières nouvelles du Mammouth, éditions du Trident, 2002 (l’appellation « mammouth » est du ministre Claude Allègre).
2. Devenu Institut français de l’éducation.
3. Jules Monnerot parle d’hétérotélie lorsque le but atteint en stratégie ou en politique est différent du but visé, et d’énantiodromie lorsque but atteint et but visé se situent diamétralement à l’opposé : c’est ici le cas.
4. Formé à l’École normale supérieure de Saint-Cloud, agrégé d’histoire, Pap Ndiaye est titulaire d’un doctorat en histoire de l’École des hautes études en sciences sociales (EHESS) en 1996. Il est maître de conférences dans cette école à partir de 2013. C’est un spécialiste d’histoire sociale des États-Unis et des minorités.