Le recours à l’enfance est la clé de l’imaginaire. Et l’imaginaire peut être comparé à une carte sur laquelle figurerait le lieu d’un trésor mystérieux ; tout est alors permis à l’intérieur de ce royaume que l’écrivain Jean Raspail n’aurait pas renié.
Le film de Victor Fleming, L’Île au trésor (Treasure Island) réalisé en 1934, apparaît, à cette aune, comme l’archétype du film d’aventures de l’enfance. Tout d’abord, commençons par signaler que l’année 1934 fut particulièrement faste pour la Metro Goldwyn Mayer, qui engrange un certain nombre de succès au rang desquels nous devons compter, par exemple, Viva Villa ! (de Howard Hawks et Jack Conway, produit par David O. Selznick, avec Wallace Beery et Fay Wray), Tarzan et sa compagne (de Cedric Gibbons avec Johnny Weissmuller et Maureen O’Sullivan) ou encore David Copperfield (de Georges Cukor et toujours produit par O. Selznick, avec, entre autres, Lionel Barrymore, Basil Rathbone et W. C. Fields).
Ce film a connu de nombreuses versions cinématographiques ultérieures (souvent ratées), parmi lesquelles seul le film d’Evgueni Fridman (1971) peut prétendre tenir la dragée haute au grand classique de Fleming ; ce cinéaste russe qui vécut aux États-Unis offre une version très proche du roman de Stevenson tout en accentuant la face sombre des personnages, telle qu’elle ressort, d’ailleurs, de ce dernier.
Même si l’histoire de ces aventuriers et pirates mus par l’appât du gain et le frisson de l’exotisme se prête à des développements propres à exciter l’imagination des plus jeunes, il n’en reste pas moins vrai que l’œuvre de Stevenson doit avant tout se lire comme un roman d’apprentissage et d’initiation : le jeune Jim Hawkins va devoir se confronter à une humanité qui, sous les traits du roublard Long John Silver, peut se montrer parfois aussi peu reluisante qu’affable et généreuse. L’esthétique crépusculaire du film n’est pas sans rappeler celle des Contrebandiers de Moonfleet de Fritz Lang (1955, avec Stewart Granger et George Sanders) où un jeune garçon, John Mohune, nanti d’une recommandation maternelle, se trouve embarqué dans les activités illicites de son protecteur, auquel il ne cesse de vouer une grande admiration. Le film de Fleming présente de nombreux attraits, à commencer par une direction artistique irréprochable et une photographie impeccable. La première est due à Cedric Gibbons qui, de La Monstrueuse Parade (Freaks, 1932), de Tod Browning, en passant par Le Magicien d’Oz (The Wizard of Oz, 1939), Docteur Jekyll et M. Hyde (Dr. Jekyll and Mr. Hyde, 1941), tous deux de Victor Fleming, Le Portrait de Dorian Gray (The Picture of Dorian Gray, 1945) d’Albert Lewin, Le facteur sonne toujours deux fois (The Postman Always Rings Twice, 1946), de Tay Garnett, Quand la ville dort (The Asphalt Jungle, 1950), de John Huston ou encore Quo vadis, de Mervyn LeRoy (1951), saura imprimer sa patte si personnelle à la MGM au point qu’elle se confondra avec le studio au lion rugissant. Quant à la photographie, elle est due au trio Ray June, Harold Rosson et Clyde DeVinna, dont le savoir-faire en la matière s’enracine aux premiers vagissements du Septième art, tous ayant travaillé avec les plus grands (Lewis Milestone, Allan Dwan, John Ford, Frank Borzage, Fred Niblo, Raoul Walsh…).
Côté distribution, Wallace Beery crève littéralement l’écran. Pilier de la MGM, tout comme son frère Noah, il vient du cirque et du music-hall. Sa truculence, sa voix caverneuse et ses mimiques particulièrement expressives lui valent souvent des rôles de gangsters ou de méchants. Dans L’Île au Trésor, il fait part à Jim Hawkins, qui lui apporte une bouteille de rhum, de son aversion pour l’alcool ; le propos est d’autant plus ironique que c’est précisément son penchant pour la dive bouteille qui lui vaudra de divorcer d’avec Gloria Swanson. Quant à Jackie Cooper, treize ans dans le film, il fait partie de ces enfants-acteurs précoces (il débuta à trois ans !), dont la carrière s’essoufflera (comme celle de Jackie Coogan, le Kid de Charles Chaplin), une fois parvenu à l’âge adulte. Il jouera avec Beery dans trois films, nouant avec ce dernier une relative complicité. Son interprétation du jeune Hawkins, profondément marquée par un long passage par le muet, si elle peut paraître surjouée, n’en reste pas moins empreinte de sincérité, le garçonnet démontrant pour l’occasion un vrai jeu d’acteur. En ces temps si peu innocents, ce film est comme un vent de fraîcheur sur des visages tuméfiés. À voir et revoir sans modération.