Le malheur du monde est le fils du reniement. Aucune civilisation n’a jamais promu le reniement. Athènes et Rome ont flétri et condamné lourdement les parjures et les forfaitures.
Le droit à la considération sociale est subordonné à la vérité et la fidélité à la parole donnée, ou au moins il est présenté comme tel. L’honneur, qui est fidélité exigeante à l’idée que l’on se fait de soi-même et du regard des autres est un chemin de rectitude. Parfait.
Et pourtant cette rigueur proclamée par toutes les morales n’est pas seulement l’exaltation d’un idéal ; elle est le rempart, dont chacun connaît la nécessité, contre les petites lâchetés, les petits et gros mensonges, les trahisons. Pour un chrétien, la notion de péché est inséparable de la conscience que l’on a de trahir l’amour que Dieu nous porte, de forfaire à son intime allégeance à la volonté divine. Le reniement peut être un malheur collectif, s’il est commis au plus haut niveau par des personnes ou des instances qui engagent une famille, une corporation, un groupe social, un parti politique, une nation même.
Un socle de reniement
C’est sur un socle de reniement que la république à la française (je répugne à écrire « la république française ») a été fondée. La France était chrétienne, et baptisée, comme chacun sait. La république s’est crue autorisée à renier cette réalité historique et spirituelle : elle a manifesté sa forfaiture par un crime de sang : l’assassinat public et quasi rituel d’un homme qui avait l’incommensurable tort d’être le détenteur d’une fonction héréditaire hautement symbolique : la royauté, c’est-à-dire en France, la lieutenance de Dieu sur terre et elle a proscrit, persécuté, condamné à mort ceux qui manifestaient un peu trop haut leur fidélité à cette foi fondatrice.
Ces événements, ces massacres ont marqué notre histoire d’un sceau d’infamie malgré les étonnantes résurgences d’une grâce condamnée à être le plus souvent souterraine : les héros et les saints ont heureusement ici et là sauvé l’honneur. Charles de Foucauld, tout récemment canonisé, est l’un d’entre eux. Mais les commandes de la France étaient passées aux mains de ceux qui pensaient conduire les destinées de notre patrie avec leurs forces dérisoires, leur raison raisonnante, leurs utopies, leur pauvre vanité de bourgeois parvenus.
La nature humaine, un accessoire
Le troupeau catholique s’est laissé berner, ballotter, injurier, en réagissant de moins en moins, comme hébété, cheminant au long d’une sinistre transhumance. Il n’est pas jusqu’à ses pasteurs qui ne se soient soumis, frileusement satisfaits de relations faussement apaisées avec le pouvoir politique. Et maintenant que le comble de la transgression d’avec l’antique morale est en cours, que le mariage, la filiation, la famille même sont méprisés et ridiculisés par une législation de plus en plus scélérate, que la notion même de nature humaine est au rang des accessoires, que notre culture est en voie de déconstruction sous l’action de ministres philistins, le troupeau acquiesce, avec l’approbation tacite et même parfois explicite des clercs.
Et voici que pour la deuxième fois consécutive l’ennemi déclaré et assumé est élu à la tête de l’État, avec le concours efficace des catholiques : le reniement est répété, avec sa charge nauséeuse de déshonneur. Il ne manque plus qu’une guerre à perdre pour parfaire le tableau. Plaise à Dieu de susciter les acteurs de la renaissance espérée !
Illustration : Le « citoyen » (sic) Ravel.