Deux formations politiques rivales se réclament actuellement de la droite nationale dans notre pays. La plus récente, lancée le 4 avril 2021 sous la dénomination « Les Amis d’Éric Zemmour » puis du parti Reconquête !, le 5 décembre de la même année, peut se targuer d’être née avec d’emblée 40 000 militants, et d’en compter 100 000 aujourd’hui, et d’avoir vu son chef engranger plus de 15 % d’intentions de vote avant la campagne présidentielle, ce qui n’était pas rien pour un homme qui, jusqu’alors, n’appartenait pas à la classe politique. Cependant, Éric Zemmour, lors du premier tour de scrutin de la dernière pésidentielle, a perdu son pari de supplanter Marine Le Pen et le Rassemblement national (étant tout de même arrivé quatrième (avec 7,8 % des suffrages), devant Valérie Pécresse, ancienne ministre, présidente de la première région de France et candidate d’un grand parti de gouvernement).
Pourquoi, après un fulgurant départ, Éric Zemmour n’a-t-il pas transformé l’essai en se classant second à l’issue de ce premier tour ? Cette question mène à s’interroger sur le dilemme qui déchire fatalement la droite nationale en démocratie, dès lors qu’elle en accepte les règles et entre dans la compétition électorale.
Zemmour, un nationalisme authentique et flamboyant
Éric Zemmour, de par son charisme, son intelligence, sa culture, ses écrits empreints de talent et de savoir, son ardeur patriotique, a donné une nouvelle impulsion au nationalisme français qui en avait bien besoin. Il n’est pas exagéré de dire que le nationalisme, depuis près de vingt-cinq ans, s’acheminait lentement vers son extinction de par les erreurs et les échecs de Jean-Marie Le Pen, la disparition de la souveraineté de la France, la submersion migratoire, puissant facteur d’altération de notre identité, et l’assommante propagande politiquement correcte. Bien des miltants nationalistes, jeunes ou d’âge mûr, se sont sentis revigorés dans leur foi politique par le discours et les écrits de Zemmour qui les changeaient de l’abâtardissement idéologique en lequel Marine Le Pen, avec sa dédiabolisation, avait plongé leur famille de pensée. Enfin, ils retrouvaient un guide qui clamait haut et fort ses convictions nationalistes et identitaires et refusait tout compromis avec le système. Beaucoup se rallièrent alors à lui avec enthousiasme, les jeunes comme les moins jeunes ; et maints caciques du RN intégrèrent son équipe dirigeante. Éric Zemmour osait parler sans retenue de l’identité française, du passé glorieux de notre pays, du rôle civilisateur du chrisianisme, et flétrissait les idéologies subversives, une vision fausse et partisane de l’histoire, une immigration massive, tout cela ayant engendré l’idéal pervers et mortifère d’une société polyethnique et multiculturelle. Il dénonçait le mondialisme, dissolvant des identités nationales, l’élévation des Droits de l’Homme à la hauteur d’une religion imposée, l’individualisme hédoniste, la promotion de l’homosexualité, le droit absolu à l’avortement, la PMA la GPA, l’ultraféminisme castrateur, le terrorisme écologiste et antispéciste. Il montrait que tout cela avait engagé la France sur le chemin de la décadence. Il montrait comment les historiens, gavés d’idéologie, avaient justifié cette involution. Tout cela, il le disait haut et fort dans ses entretiens, ses discours et ses livres. Mais il croyait possible un sursaut national et une renaissance spirituelle et politique, à laquelle il conviait ses compatriotes. Avec lui, le nationalisme lui-même retrouvait sa propre identité, en osant se présenter pour ce qu’il était, sans fard, prêt à entreprendre la « reconquête » (d’où le nom de la formation de Zemmour) des valeurs spirituelles et éthiques fondatrices de notre civilisation. Il sortait enfin d’une longue période de décrépitude au terme de laquelle il avait fini par se ramener à un mouvement populacier et protestataire faisant son lit de tous les laissés pour compte du néolibéralisme économique mondial, de toutes les mutations sociales, et des conséquences de l’immigration. Il cessait d’apparaître comme l’expression de la révolte impuissante des victimes de la marche du monde, des vaincus de l’hisoire, statut qui semblait devoir l’empêcher de jamais accéder au pouvoir et d’être en mesure de changer le cours des choses. Avec Zemmour, le nationalisme cessait de n’être qu’une rage impuissante, une vaine protestation, pour redevenir un grand mouvement de restauration d’une France fière, forte, saine, digne de son glorieux passé, attachée à sa civilisation et décidée à la défendre, et prête à relever victorieusemnt les grands défis du présent et de l’avenir. Un tel ressaisissement allait amener à lui des électeurs et des militants jeunes, bien insérés socialement, intelligents, instruits, enthousiastes, croyant en leur parti et en la France.
Nationalisme pur et dur et national populisme
Refusant d’être le porte-voix des vaincus, Éric Zemmour entend apparaître comme un combattant, et se présente comme un reconstructeur. À sa façon, il joue l’élite conquérante et décidée à remodeler la France, plus que le peuple qui subit, souffre, geint et proteste en vain. Pour user d’un langage propre aux derniers temps de la république romaine antique, il a plus l’âme des optimates que celui des populares. Et ce, même si, comme de nombreux ennemis du système, il flétrit les élites habituelles, celles des grands corps de l’État, de la classe politique, de l’intelligentsia et des médias. Autrement dit, il n’est pas populiste. Lorsqu’il fustige l’immigation et l’islam, il n’évoque guère les situations pénibles auxquelles se trouvent confrontés nos compatriotes de souche vivant dans les cités HLM des banlieues, et se concentre sur la profonde altération destructrice que l’une et l’autre font subir à l’identité de la France. Par ailleurs, il insiste sur le déclin industriel et commercial de la France du fait de l’Europe et de la mondialisation plus que sur les bas salaires, la précarité sociale, le chômage, la dégradation des conditions de vie et de travail des Français. En matière économique, il se montre résolument libéral, nonobstant son euroscepticisme, dénonce la gabegie de notre système de protection sociale et propose d’y remédier par des mesures restrictives, se prononce en faveur du recul à 64 ans de l’âge de départ à la retraite, et critique sans ménagement la démagogie de Marine Le Pen, partisane d’une hausse générale des salaires et du maintien de la retrite à 60 ans, et attachée à notre vieille Sécurité sociale. Des critiques malveillants pourraient dire de Zemmour ce qu’autrefois, d’autres disaient de de Gaulle, à savoir qu’il s’intéresse à la France, non aux Français. Il se pose en défenseur de l’identité, de la civilisation, de la grandeur, du prestige historique et culturel de la France, beaucoup plus que du niveau de vie des Français. Le contraire de Marine Le Pen.
L’avenir incertain d’Éric Zemmour et de son parti
Aussi ne dispose-t-il pas du vivier populaire de cette dernière. Il ne recrute que parmi les nationalistes les plus ardents, lassés de la normalisation mariniste, certains cadres et représentants des professions libérales, quelques intellectuels de droite, et des hommes d’affaires, séduits par son libéralisme non européen et peu ou prou déréglementé. Un vivier étroit… et à la fidélité incertaine. Il est, en effet, composé de gens exigeants, prompts à s’emballer pour un homme ou un mouvement nouveau et séduisant, mais enclins à se détacher de lui s’il ne perce pas à l’occasion des élections ; ce qui est le cas de Zemmour.
Ses partisans pourraient bien se détourner de lui et retourner dans le giron de la droite « de gouvernement », voire de LREM. Le pire serait la défection des sponsors financiers, d’autant plus indispensables que Zemmour ne dispose pas d’un appui populaire. Reconquête ! pourrait alors subir le même sort que le Mouvement pour la France (MPF) de Philippe de Villiers qui, après quelques beaux succès dans les dernières années du XXe siècle, a connu un inexorable déclin dû à la défection des hommes d’affaires (dont Jimmy Goldsmith) qui le subventionnaient, et à la désaffection de nombre de ses sympathisants, déçus par ses échecs.
Reconquête ! sera-t-il à son tour aspiré par une spirale de dégénérescence ? Il est assurément trop tôt pour le prévoir. Mais on peut penser que bien des sympathisants de Zemmour se sentiront démobilisés par la médiocrité de son score au premier tour de la dernière présidentielle. Il est plausible que seuls ses plus ardents partisans voient dans ses 7,8 % de suffrages la promesse d’un nouveau venu étranger au sérail politique. On peut augurer de la peine qu’ils auront à convaincre les déçus, et à développer le parti Reconquête !. Rappelons ici que tous les partis rivaux du FN (devenu RN) ont péréclité : outre le MPF, citons les cas du Mouvement national républicain (MNR) de Bruno Mégret et du Parti de la France (PDF) de Carl Lang.
Marine, travestissement et reniement
L’échec de Zemmour s’explique par son refus du populisme et sa focalisation sur la défense de l’identité et de la grandeur de la France, alors qu’inversement, Marine Le Pen choisit avant tout la défense des conditions d’existence des humbles contre le mondialisme mercantile néolibéral, la disparition du pouvoir d’intervention régulatrice des États souverains, le règne de l’argent et les élites oligarchiques. Par là, elle ne réussit auprès des électeurs qu’en diluant son nationalisme originel dans un populisme équidistant de la gauche et de la doite. N’a-t-elle pas déclaré, durant sa campagne : « Je n’en ai rien à faire de la gauche et de la droite, ce qui m’intéresse, c’est la France » ? Déclaration louable si on considère qu’en effet, la France a beaucoup plus de prix que le règne des partis. Mais en un pays et en des temps imprégnés jusqu’au tréfonds de l’âme et du cœur par les idées démolibérales et égalitaires, cela revient à s’engager de fait dans une manière de politique de gauche. Autrement dit, la droite nationale ne peut réussir (et encore, très relativement, et, jusqu’à présent, sans accéder au pouvoir) qu’à la condition de se parer des oripeaux d’un populisme gauchard. Si elle s’affirme sans fard, à la façon de Zemmour, elle se condamne à la marginalité. Elle ne peut percer qu’en devenant un mouvement populiste, et donc en se reniant, en se dénaturant… et en apparaissant, de plus, comme le porte-voix des vaincus, ce qui ne confère pas un profil de vainqueur. Du reste, cette mue, si elle la met en mesure d’engranger de beaux scores à la présidentielle (il s’agit alors de choisir, dans le cadre de la nation, l’homme ou la femme qui décidera de tout durant cinq ans), ne lui permet cependant pas de cesser de n’obtenir qu’un nombre insignifiant de sièges aux élections législatives et régionales, scrutins se déroulant dans une multitude de circonscriptions et de régions, où se fait sentir la force de l’ancienneté des implantations des divers partis, singulièrement celle des vieux « partis de gouvernement » de tous bords. Enfonçons le clou en ajoutant que, lors même que Marine Le Pen serait élue présidente de la République et parvenait, par miracle, à réunir autour d’elle une majorité parlementaire, elle aurait contre elle tous les membres des grands corps de l’État, qui forment le personnel des ministères.
Cruel dilemme, donc, que celui de notre droite nationale, obligée de choisir entre altération populiste et affirmation suicidaire, et, de toute façon, réduite à l’impuissance en démocratie. Mais il est vrai que le système ne saurait secréter l’antigène propre à le détruire.
Illustration : Le prince Amaury de Bourbon-Parme se présente aux élections législatives dans la deuxième circonscription de l’Orne (61) sous les couleurs de Reconquête !.