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Michel Bouquet ou le talent comme ascèse

Le roi se meurt. Le roi est mort. À 96 ans, l’infatigable Michel Bouquet (75 ans d’une carrière entamée à 17 ans !) a tiré sa révérence, selon la formule consacrée, et s’en est allé rejoindre les géants, Anouilh, Barrault, Gabin, Ventura, Gance, Clouzot, Giovanni, Chabrol, Truffaut et quelques autres, non moins illustres.

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Michel Bouquet ou le talent comme ascèse

Né en 1925 à Paris, il commença, comme nombre de sa génération, par collectionner des boulots divers (apprenti pâtissier, mécanicien-dentiste, manutentionnaire, employé de banque) avant d’intégrer le Conservatoire d’art dramatique de Paris et de suivre les cours de Maurice Escande et de Béatrix Dussane. D’emblée, il s’impose sur les planches comme un comédien capable d’endosser une multiplicité de rôles. Au cinéma, genre qu’il ne dédaigne pas mais qu’il situe bien en dessous du théâtre, Bouquet étincelle, lors même que sa personnalité apparemment terne et austère, peu portée à l’excentricité, semblerait, a priori, l’y indisposer. Ainsi crève-t-il l’écran dans Pattes blanches de Jean Grémillon (1948), film noir, s’il en est, où il campe un jeune dément dégingandé au regard inquiétant. Dans Les amitiés particulières de Jean Delannoy (1964), il impose graduellement sa discrétion bienveillante mais équivoque en ecclésiastique veilleur de chambrée viscéralement tiraillé par d’obscurs désirs incompatibles avec les devoirs de sa charge. Dans La Mariée était en noir de François Truffaut (1967), il sait se rendre admirablement méprisable par sa lâcheté pathétique en vieux garçon routinier et amoureux transi. Dans Juste avant la nuit de Claude Chabrol (1971), en publiciste taciturne rongé par le remords d’avoir accidentellement tué sa maîtresse, par ailleurs la femme de son meilleur ami, il imprime une sourde anxiété enfermant le film dans une atmosphère pesante. Dans La Femme infidèle (1968), remarquable drame policier (miroir inversé du précédent), il se montrera tout à la fois ondoyant et impénétrable dans le rôle du meurtrier de l’amant de sa femme, la sensuelle et sublime Stéphane Audran, hissant l’œuvre au rang des films les plus réussis du même Chabrol. Dans Deux hommes dans la ville de José Giovanni (1973), il est saisissant dans le rôle du flic pervers et pousse-au-crime, personnage qu’il reprendra, peu ou prou, en 1982 dans Les Misérables (de Robert Hossein) version honnête de l’œuvre de Victor Hugo.

Faire son métier aussi scrupuleusement que possible

Dans Un Condé d’Yves Boisset (1970), il incarne un flic vengeur, froid, cynique et névrosé. Dans La Rupture (1970), autre film noir de Chabrol, Michel Bouquet, avec toute la retenue et le quant-à-soi qui le caractérise, entre parfaitement dans la peau du bourgeois soucieux de sauver les apparences pour masquer les plus inavouables turpitudes familiales. Bouquet est un acteur chabrolien : « Chabrol… Les charmes délétères de la bourgeoisie, le culte doré de l’anti-héros. Chabrol, l’homme qui regarde rigolard Bouquet injecter de la nitroglycérine dans les veines du notable sans importance », note justement André Coutin, dans la biographie de l’acteur, L’Homme en jeu (Robert Laffont, 1979). Avec Chabrol, il ne tournera pas moins de six films, dont Le Tigre se parfume à la dynamite (1965) – film d’espionnage relativement banal avec un Roger Hanin s’efforçant de ne pas sombrer dans le ridicule –, La Route de Corinthe (1967) – qui ne compte pas, c’est le moins que l’on puisse dire, parmi les réussites du cinéaste – et Poulet au vinaigre (1985), satire vitriolique des mœurs de la bourgeoisie de province. Dans chacune de ses compositions ou interprétations, Bouquet, à l’instar de Jean-Louis Barrault ou de Louis Jouvet n’a d’autre prétention que de faire son métier aussi scrupuleusement que possible. Très exigeant avec lui-même jusqu’à l’ascétisme, il ne manquait pas de pousser ses élèves du Conservatoire aux cimes de cette même exigence. Dans la vie, c’était un homme fort chaleureux, tout d’intelligence et d’instinct, doué d’un jugement aussi rare qu’assuré sur le monde qui l’entourait. Coutin en dresse le portrait d’un réactionnaire bernanosien : « Ses réactions de simple citoyen sont celles d’un moraliste et d’un humaniste d’une rare lucidité. Il voit de sang-froid les dangers qui guettent l’homme ayant confié son destin à la Machine, il s’inquiète des fausses idoles, du refus du travail, de la peur de l’effort, de l’anesthésie générale que réclament les gouvernés, de ce droit à l’immortalité que stupidement revendiquent les consommateurs de supermarché, de sexe programmé, de télé et de vacances organisées ». Il nous manquera…

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