Tribunes
Que faire ?
Adieu, mon pays qu’on appelle encore la France. Adieu.
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Le barreau de Paris accompagne pour son dernier voyage son bâtonnier, Olivier Cousi. Il a conduit le barreau pendant deux années de crise : grève des avocats, manifestation contre la réforme des retraites qui constituait pour eux une véritable spoliation, covid, etc., avec intelligence et courage, et puis, il est mort, foudroyé à 63 ans.
L’église Saint-Eustache était plus que pleine malgré les travaux. Elle débordait, sur son parvis ouest, de robes noires. Sous les voûtes élancées de cet opus francigenum qu’on s’acharne à appeler « gothique », les robes noires étaient chez elles comme au temps où saint Louis en consacrait « l’établissement ». Après les discours d’avocats – mais faut-il leur demander d’être autres que ce qu’ils sont ? – sur ce bâtonnier qui était aussi marin, « Le vent se lève… partons au large… larguons les amarres… » (il ne manquait plus que Hissez haut ! Santiaaaano !), l’office commença, grave et profond. La célébration de la sainte messe imposa un silence vraiment religieux. Le chant final à Marie, après une longue procession de communion et avant l’adieu final, apaisa tous les cœurs.
Je contemplais l’assistance. À quelques détails près, nous aurions pu nous croire à n’importe quelle époque de la vie du barreau parisien, exceptée l’infâme révolution dite « française », selon les mots miséricordieux du Pape Pie XII. La mort ramène à l’essentiel, et cet essentiel pour les avocats c’est la robe qui symbolise l’unité dans le service de la défense et qu’on ne peut séparer ni de la messe ni de l’Église. La république laïque et les petits complots maçonniques étaient très loin. À dire vrai, ils n’existaient plus ; peut-être s’attendaient-ils à reprendre à la sortie ? Mais ils savent qu’ils sont déjà condamnés.
Je n’ai pas aperçu le représentant du gouvernement, non plus que le garde des Sceaux, pourtant lui-même ancien avocat du barreau de Paris. Sans doute est-ce un manque d’attention de ma part à moins que cette discrétion, voire cette absence, aient été volontaires.
Cinq jours auparavant, nous recevions, Hilaire de Crémiers et moi, dans le studio de Radio Courtoisie, Frédéric Cazotti, qui vient de publier aux éditions Séguier la biographie de Stephen Hecquet. Livre utile et initiative admirable qui fait revivre la figure de ce jeune homme mort à quarante ans après avoir mené plusieurs vies, celle d’avocat, mais avant celle de fonctionnaire et de soldat, puis de jeune chef dans les Chantiers de Jeunesse du Maréchal (« pendant deux ans nous avons été des saints »), de journaliste, le soir, et d’écrivain, la nuit.
Ami des hussards Roger Nimier et Antoine Blondin, il avait été célébré, lors de rentrée solennelle du Barreau, par Olivier Sers, premier secrétaire de la conférence du stage comme lui, et qui était présent à notre émission. L’auteur du livre, comme celui qui écrit ces lignes et comme notre défunt bâtonnier, avait été de cette illustre compagnie dont le concours d’éloquence compte plus de deux siècles. Trois générations d’anciens secrétaires de la conférence se retrouvaient pour célébrer un grand ancien. « Ils ont le goût des armes et de la parole », disait César de nos ancêtres les Gaulois. On aurait pu le dire des guerriers d’Homère. Stephen Hecquet a bien illustré cette double passion. La parole est aussi une arme. Le concours de la conférence en entretient l’exercice. Quand Stephen Hecquet, premier secrétaire de la conférence prononça son discours à la rentrée solennelle du Barreau, Vincent Auriol, président de la République et ancien avocat, était là. Le discours fut salué pour le talent de l’orateur et son ironie « hardie », auraient dit les voix de Jeanne, à l’égard des puissances d’établissement. Ni M. Macron, ni M. Dupont-Moretti ne nous manifestent la même considération. Mais ils passeront et l’amour de la parole demeurera. Hora fuit. Stat Jus est-il gravé au fronton de notre (ancien) Palais de Justice. Le temps d’en va, le Droit demeure. n