Quand le ministre français des Outre-mer évoque l’autonomie de la Guadeloupe, que dit-il : que la France est prête à s’amputer de ses domaines ? Qu’il suffit d’un peu de violence pour que le gouvernement recule ? Que la Métropole entend laisser ses lointains territoires se débrouiller seuls à chaque difficulté ? Parole malheureuse et pensée funeste.
Dans la polémique qui a enflammé la Guadeloupe en novembre dernier, le Gouvernement a recouru à l’un des pires procédés qui puisse avoir lieu quand on est confronté à une crise : le lâchage sous l’effet de la violence. Il aura suffi de policiers attaqués à balles réelles, d’une situation incontrôlable, quelque peu insurrectionnelle, pour que la République prenne peur. Une fois de plus, on notera que c’est à nouveau face à un mouvement qui n’est pas organisé que les autorités publiques, prises à la gorge, proposent des concessions substantielles. Comme en 2018 avec les Gilets jaunes, dont le nombre était bien moindre que pendant les grandes grèves syndicales. Le message ne peut être que désastreux, car il suffira désormais pour être pris au sérieux que les gens deviennent incontrôlables et agitent le chiffon rouge de la violence. Voilà déjà une observation sur la forme.
Quand un ministre de Macron envisage l’autonomie en Guadeloupe
Sur le fond que s’est-il passé ? Le vendredi 26 novembre dernier, le ministre des Outre-mer, Sébastien Lecornu, annonce dans une déclaration télévisée aux Guadeloupéens la légitimité du débat relatif à l’autonomie de la Guadeloupe. Au motif que « certains élus ont posé en creux la question de l’autonomie », « le gouvernement est prêt à en parler, il n’y a pas de mauvais débats du moment que ces débats servent à résoudre les vrais problèmes du quotidien des Guadeloupéens ». Face à une contestation qui a pris une tournure aussi bien identitaire que sociale ou économique, ce proche de Bruno Le Maire aura agité une corde sensible dans ce département d’outre-mer. Mais à peine ces propos ont-ils été prononcés qu’une partie de classe politique est tombée sur Sébastien Lecornu. Ainsi, Bruno Retailleau, patron du groupe Les Républicains du Sénat, estime qu’« on ne marchande pas l’unité de la communauté nationale pour composer avec des extrémistes ». Même Anne Hidalgo, piteuse candidate du PS à la présidentielle et maire de Paris, reconnaît que les Guadeloupéens « veulent plus de justice », mais pas « moins d’État ». La classe politique des partis classiques a peut-être mieux compris les faiblesses du macronisme : il suffit de lui taper dessus pour qu’il envisage des solutions radicales, mais pas très courageuses… Mais deux jours après, Sébastien Lecornu a indiqué que « l’autonomie, ce n’est certainement pas l’indépendance : elle existe déjà pour certaines collectivités d’outre-mer à des degrés divers, le modèle le plus poussé étant par exemple la Polynésie ». Nous voilà rassurés tant le malaise étant patent ! Lecornu va même jusqu’à affirmer que « le gouvernement ne propose pas d’évolution statutaire » mais sans nier le fait que « cette aspiration a largement émergé sur le terrain, dans la relation à l’État et à Paris ». Lecornu a-t-il rétropédalé ? Ou s’est-il abrité derrière les revendications tout en précisant que l’autonomie existe déjà en outre-mer ? Il y a plusieurs lectures possibles, mais cette solution soulève quelques interrogations.
Retour en arrière pour la Guadeloupe ?
Statutairement, l’outre-mer français oscille entre le rapprochement à l’égard du droit commun comme on le voit pour les territoires soumis à départementalisation (c’est ainsi le cas de Mayotte) et une forme d’autonomie qui prend quasiment la forme du fédéralisme (c’est la situation de la Nouvelle-Calédonie). Or, pour les Antilles, la tendance était de les rapprocher de qui est applicable au territoire métropolitain sous réserve de certaines adaptations, mais à la condition que la loi l’ait prévu et que cela ne porte pas sur des domaines « régaliens » ou « sensibles » (état des personnes, garanties des libertés publiques, sécurité et ordre publics, etc.). C’est en effet ce qui ressort de la révision constitutionnelle du 28 mars 2003 qui a modifié l’article 73 de la Constitution du 4 octobre 1958 pour prévoir clairement que dans les départements et régions d’outre-mer (ce sont les DROM qui succèdent aux fameux DOM) « les lois et règlements sont applicables de plein droit » sous réserve des adaptations indiquées en sus mais aussi des adaptations relatives à l’exercice de leurs compétences. Concernant l’application de la loi et du règlement, le principe est donc celui de leur application, l’exception étant celle de l’adaptation, laquelle n’est donc pas automatique car relativement encadrée et, en un sens, assez limitée. Au passage, on peut s’étonner que les précédentes lois relatives à la crise sanitaire n’aient pas prévu d’adaptation à ces zones hors métropole… Pourquoi a-t-il fallu attendre une crise en Guadeloupe pour comprendre que l’on devait adapter des contraintes sanitaires ? N’aurait-on pas pu envisager cela à l’été 2021 ? Les pouvoirs publics avaient assez d’antennes fines pour comprendre que dans ces territoires une telle obligation vaccinale à l’égard de certains corps passerait difficilement… Or la démarche employée fut plutôt de soumettre l’île à des contraintes encore plus rudes pour cause d’explosion de la pandémie. Avec ce cocktail de violences de la fin de l’automne 2021, le ministre des Outre-mer se résolut donc à reporter la date-limite des vaccinations au 31 décembre 2021. Mais en soulevant la question de l’autonomie, Sébastien Lecornu s’inscrit dans un étrange mouvement de régression, pas nécessairement amical pour la Guadeloupe. D’une part, c’est revenir sur cette logique de départementalisation d’une partie de l’outre-mer. D’autre part, la posture ministérielle laisse en effet entendre que toute difficulté subie dans cette île des Antilles se traduira par la promesse de plus grandes marges d’action tout simplement parce que l’État aura renâclé à prendre des décisions. En gros, le message est condamné à être le suivant : « si vous n’êtes pas contents, débrouillez-vous entre vous ! »…
L’autonomie, mais pour qui ?
En filigrane, c’est aussi la question du rôle des élites locales qui est posée. Elles semblent avoir été silencieuses dans la crise, puis embarrassées par les propositions de Lecornu. Elles ont même demandé que l’autonomie soit abordée de manière « concertée » et n’ont pas osé dénoncer les émeutiers – ressentiment traditionnel contre la métropole et contre Paris oblige…. Ainsi, elles ne se sont pas emparées du « chantier » proposé par le ministre. Elles semblent même vouloir temporiser car, visiblement, c’est une tâche complexe. On peut se demander si Sébastien Lecornu ne s’est pas davantage adressé au personnel politique guadeloupéen qu’aux Guadeloupéens eux-mêmes, en le plaçant face à ses responsabilités… Est-ce une manière de dire que la prochaine fois les Guadeloupéens ne pourront s’en prendre qu’à leurs responsables, dont on se doute qu’ils n’oseront pas prendre de décisions dans des domaines sensibles ? Ou comment une crise sanitaire, gonflée par d’autres problèmes endémiques à un territoire éloigné de Paris, a pu donner au pouvoir la possibilité d’agiter un chiffon rouge… Après les bradeurs d’Empire dénoncés sous la IVe République, les « bradeurs d’Outre-mer » ? On notera que, cette fois-ci, le « bradage » n’est pas la réponse à une demande, même vague, formulée par des émeutiers, mais une initiative prise par un pouvoir aussi peu courageux que directif… Le paradoxe de l’autorité liquide qui joue avec un sujet délicat : l’unité de la nation. Bref, avec le macronisme, la panoplie complète des déconstructions aura été exhaustive. n
Illustration : « “On ne peut pas toujours s’abriter derrière l’État, je crois aux responsabilités locales”, insiste Sébastien Lecornu, certain d’être dans la droite ligne du chef de l’État. » (Le Figaro, 29 nov. 2021)