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Benoît XVI remet l’église au milieu du village

« On peut se retirer à un moment de répit, ou quand tout simplement on n’en peut plus » : en 2010, Benoît XVI évoque pour la première fois publiquement la possibilité d’une démission, dans une interview au journaliste Peter Seewald. Retour sur un pontificat singulier.

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Benoît XVI remet l’église au milieu du village

Depuis son élection cinq ans plus tôt, Benoît XVI n’a cessé de vouloir recentrer l’Église sur la Foi au Christ. Au Carême de 2005, il prêche sur « la saleté dans l’Église et en particulier parmi ceux qui exercent le sacerdoce [et] qui devraient appartenir tout entiers » au Christ, à qui il adresse cette prière : « par cette chute nous te mettons à terre, et Satan rit parce qu’il espère que de cette chute tu ne pourras te relever ». Il suspend des prêtres par dizaines après les scandales qui éclatent en Irlande et ailleurs. Il convoque 140 cardinaux à Rome pour trouver des solutions au scandale des abus sexuels dans l’Église et met l’accent sur l’aide aux victimes par le motu proprio Sacramentum Sanctitatis Tutela de 2010.

La réconciliation à l’intérieur de l’Église, il l’obtient en 2007 avec un autre motu proprio qui autorise le rite de la messe en latin comme forme extraordinaire aux côtés de la forme ordinaire décidée par le concile Vatican II : « Pour moi, il était important que l’Église soit une avec son propre passé »1, expliquera-t-il, ne jugeant pas possible que « ce qui était auparavant considéré comme le plus saint dans l’Église soit soudain complètement interdit ». Le pape ouvre la porte aux communautés traditionalistes avec la levée de l’excommunication de quatre évêques de la Fraternité Saint Pie X. Le décret à peine publié, en mars 2009, le scandale éclate : la presse révèle que Mgr Williamson a proféré des thèses négationnistes. Ses ennemis tentent de faire tomber le pape, fragilisé plus que soutenu par l’inertie des bureaux du Vatican. Williamson aura beau être exclu trois ans plus tard par sa communauté, le mal était fait. 

 2010 est l’année où ce pape de 83 ans voyage le plus, du Portugal, où il révèle le troisième secret de Fatima, à la Grande-Bretagne, acceptant l’invitation du gouvernement britannique à la béatification du cardinal John Henry Newman, le 19 septembre. Un scandale est déjoué in extremis : des fonctionnaires du Foreign Office tentent d’inscrire à son programme la bénédiction d’un couple homosexuel. Au journaliste qui le questionne sur l’évolution de l’Église sur le sujet, il répond par un simple « no ». Il maintiendra cette ligne avec constance. Avant de prendre congé de son vieil ami l’archevêque de Canterbury, il cite encore Newman : « Je souhaite des laïcs ni arrogants ni impertinents ni querelleurs, mais des hommes qui connaissent leur religion, qui se laissent entraîner par elle, qui connaissent leurs arguments, qui savent jusqu’où aller et où s’arrêter, qui sont si imprégnés de leur religion qu’ils peuvent en rendre compte, et qui disposent d’un savoir suffisant pour pouvoir la défendre ».

Entweltlichung ou le retrait du monde

Créant des mots pour ses concepts, Joseph Ratzinger, alors jeune aumônier de Munich-Bogenhausen, avait inventé ce terme imprononçable pour signifier l’éloignement des lumières du monde. Celles qui aveuglent l’homme et lui font perdre la raison. L’année 2011 le conforte dans son intention de démissionner. En février, 311 théologiens catholiques allemands publient un memorandum au titre évocateur : Une rupture nécessaire. Ils sont emmenés par le président de la conférence épiscopale allemande, Robert Zollitsch, qui tient Benoît XVI pour un opportuniste. Quelques-uns avaient déjà signé la « Déclaration de Cologne » en 1989, contre le pape Jean-Paul II qu’ils avaient alors accusé d’être le fossoyeur de l’Église. Ils affichent leurs revendications sur la suppression du célibat, l’accès des femmes à la prêtrise, la reconnaissance des unions homosexuelles et la cogestion des évêques et des prêtres. En novembre, Benoît XVI saisit l’occasion d’une visite à Berlin pour critiquer la « dépendance [de l’Église d’Allemagne] à la bureaucratie temporelle » et sa « dépendance à l’argent qui n’est jamais suffisant » tout comme « l’amertume qui en résulte ». La presse allemande s’insurge. Elle oublie au passage que le pape a eu droit à une standing ovation du Bundestag quelques mois plus tôt sur les rapports entre le droit et la religion.

En 2012, attristé par les trahisons – les fuites d’informations du Vatican, celles aussi de son majordome Paolo Gabriele –, le pape Benoît XVI est épuisé. Ses médecins s’inquiètent à son retour d’Amérique latine. À la veille de ses 85 ans, il déclare lucidement à la Curie rassemblée : « Je ne sais pas ce qui m’adviendra mais je sais que la lumière de Dieu est là. Et cela me permet de continuer en toute assurance ». En mai sort le livre Sa sainteté. Les cartes secrètes de Benoît XVI écrit par un anonyme avec un nom de code, Maria, qui ferait partie d’un groupe au Vatican. Les Vatileaks font les délices de la presse. Durant l’été, Benoît XVI trouve la force d’achever ce qu’il dit tristement être son dernier livre sur l’enfance de Jésus. « Pensez-vous à démissionner ? » lui demande Peter Seewald : « Cela dépendra de mes capacités physiques », lui répond le pape. « Quand un pape arrive à la conclusion qu’il ne peut plus assumer la charge de sa fonction aux plans physique, psychologique et spirituel, alors il a le droit, et dans certaines circonstances aussi le devoir, de démissionner ».

C’est sans doute au cours de cette année 2012 que le souverain pontife prend sa décision : il dit avoir « lutté avec le Seigneur ! », il a prié Dieu de l’éclairer sur la décision la plus juste à prendre « non pour mon bien propre mais pour le bien de l’Église ». Quelques années plus tard, il répondra par l’affirmative à la question de son biographe sur la corruption à la Curie qui aurait excédé ses forces. « D’un pontificat que l’on commence à 78 ans, on ne peut attendre de grands changements que l’on ne peut engager seul. On doit faire ce qui est possible dans l’instant… » Sa mission principale, que la foi demeure, il estime l’avoir remplie. Le 11 octobre, il inaugure l’année de la Foi. « Tout le reste a trait à des questions administratives qui ne sont, de mon point de vue, pas indispensables à résoudre »2. 

Le 11 février 2013, fête de Notre-Dame de Lourdes, à 11 heures, au cours d’un banal consistoire, Benoît XVI annonce sa démission en latin – parce que, dit-il, une décision de cette importance se devait d’être formulée en latin –, provoquant une stupeur générale. Les évêques présents se demandent l’un à l’autre s’ils ont bien entendu ; certains ont les larmes aux yeux ; des très rares journalistes en veille dans la salle de presse, une seule va saisir ce qui se passe. Il a minutieusement rédigé sa déclaration. Seules trois personnes de son entourage ont été prévenues. L’effet de surprise a été total. Le pape reste en fonction jusqu’au 28 février, 20 heures, l’heure où il a coutume d’arrêter son travail.

Ce que ses prédécesseurs avaient pensé faire, Pie XII – au cas où il deviendrait prisonnier de Hitler, Paul VI – qui avait écrit deux projets, ou Jean-Paul II – qui y avait renoncé en 1994 : « Il n’y a pas de place dans l’Église pour un pape émérite », avait-il écrit –, Benoît XVI allait le réaliser de son plein gré, à la différence de Célestin V, poussé à renoncer à sa charge en 1294. 

Un père qui reste près de la ferme 

Tout aussi librement, il décide de se retirer dans les jardins du Vatican au monastère de Mater Ecclesiae, consacré le 13 mai 1994 par Jean-Paul II. Quand on l’interroge sur la signification d’un pape émérite, Benoît XVI répond par ce qu’il connaît de sa Bavière natale : le vieux paysan s’installe dans une petite maison à proximité de la ferme qu’il laisse à son fils le soin d’exploiter. En réalité, « ce que le pape a fait est un geste révolutionnaire. On en parle comme d’un pape conservateur, mais l’annonce de Benoît a ouvert une nouvelle page de l’histoire de l’Église », constate à l’époque le cardinal Bergoglio. « Jusqu’à la fin de Vatican II, il n’y avait pas non plus de démission prévue pour les évêques, rappelle Benoît XVI, quand celle-ci fut enfin introduite après de grands débats, on s’est retrouvé devant un problème pratique auquel personne n’avait pensé : on ne peut être évêque qu’en relation avec un siège épiscopal… » Or il y avait de plus en plus d’évêques à la retraite et de moins en moins de sièges disponibles, même fictifs – d’anciennes églises en territoires islamisés par exemple. C’est l’ancien évêque de Passau qui aurait résolu le problème en demandant à devenir l’évêque émérite de son diocèse. 

Une retraite, oui, mais pas un retour à la vie privée : « Je ne m’éloigne pas de la Croix, mais je reste d’une manière nouvelle auprès du Seigneur crucifié. Je n’exerce plus le pouvoir de diriger l’Église, mais je reste au service de la prière de façon encore plus étroite dans le domaine de Saint Pierre. Par la prière et la méditation, j’accompagnerai encore le chemin de l’Église avec ce dévouement au Seigneur et à son Épouse que j’ai jusqu’à maintenant essayé de vivre tous les jours et que je souhaite toujours vivre ». Tout vêtu de blanc, avec ses cheveux blancs et sa voix tremblante, le 265e pape salue une dernière fois la foule avant de s’envoler dans l’hélicoptère qui fait une dernière voltige imprévue au-dessus de la coupole de Saint-Pierre. 

Huit années ont passé, le pape émérite a rencontré son successeur, le pape François, il a essuyé de nouvelles critiques de la presse en s’ouvrant dans ses Derniers entretiens avec Peter Seewald en 2016, il a reçu de nouveaux coups de fouet en acceptant de donner ses textes sur le célibat au cardinal Sarah, lorsque ceux-ci sortent chez Fayard en 2020, sous sa signature mais sans son accord préalable : ces textes devaient paraître après sa mort ; mais celle-ci ne vient pas. Et l’on se réjouit lorsqu’une maison italienne édite en cette fin d’année 2021 ses conférences sur l’Europe avec une double introduction du pape François et du pape Benoît XVI. Un seul chef de l’Église et un pape émérite, bien vu. Une fois de plus.

 

1. Supprimé par son successeur en 2021. Cf. Politique Magazine N°205, septembre 2021. 

2. Lumière du monde (Herder, 2010) sera tiré à 1 million d’exemplaires et traduit en français en 2011 (Bayard). C’est le troisième des quatre livres d’entretiens avec Joseph Ratzinger que Peter Seewald a publiés avec Sel de la Terre (1996), Dieu et le monde (2000) et Derniers entretiens (2016), avant d’entreprendre une monumentale biographie dont nous reprenons ici des extraits : Benedikt XVI. Ein Leben (Droemer 2020).

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