Civilisation
À la recherche du XVIIIe siècle
Le père de Berthe Morisot, préfet à Limoges, y créa un musée des Beaux-Arts. Une des premières œuvres données fut un ravissant portrait de Nattier.
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Maillons jusqu’à présent négligés, deux créatrices d’exception retrouvent leur place dans l’histoire de la musique française grâce à l’enregistrement de leur œuvre pour clavier.
Si beaucoup de femmes composèrent au XVIIIe siècle, les convenances de l’époque ne les autorisaient guère à rendre leur nom public ni à imprimer leurs partitions. « Je suis femme, mon lot et mon goût sont la modestie ; j’ai la tête vive, rien ne me défend de l’occuper, mais pour moi, et pour mes amis les plus intimes », consignait humblement Anne-Louise Brillon de Jouy (1744-1824)1.
Fille d’un écuyer et secrétaire du Roi, elle fut éduquée bourgeoisement et reçut des leçons de dessin, de littérature et de musique. Tout au long de son existence, cette parisienne anima une « société d’esprits » des plus réputées. Avide de nouveauté et de “Lumières”, elle discutait philosophie et théologie. Son salon, où trônaient un clavecin et deux piano-fortes, vit passer l’amiral d’Estaing, la marquise de Boulainvilliers, les peintres Elisabeth Vigée Le Brun, Hubert Robert, Jean-Honoré Fragonard, qui réalisa son portrait, l’abbé André Morellet, également violoncelliste et compositeur. Nombre d’artistes s’y produisirent tels que Johann Schobert, dont les sonates influencèrent le jeune Mozart, Luigi Boccherini encore peu connu, Ernst Eichner et Henri-Joseph Rigel. Elle formait un duo de qualité avec le violoniste Jean-Pierre Pagin, disciple de Giuseppe Tartini. « Une grande musicienne, estimait Charles Burney, l’une des meilleures au clavecin en Europe et, de l’opinion générale à Paris, la meilleure au piano-forte. […] Elle joue avec une grande facilité mais aussi avec goût et sentiment. »2 Lors de son séjour parisien, entre 1777 et 1785, Benjamin Franklin se lia d’une profonde amitié avec la pimpante Anne-Louise.
La bibliothèque musicale de Mme Brillon, d’où Rameau était curieusement absent, s’étendait de Schobert à Boieldieu, de Tapray à Naderman et même aux American songs. Elle composa tout au long de sa vie : sonates pour le clavier, duos et trios, romances, le tout demeuré manuscrit et aujourd’hui conservé à Philadelphie. S’intéressant à la facture du piano-forte, elle correspondit avec Jean-Chrétien Bach, qui lui recommanda un instrument anglais. Certaines de ses pièces associent d’ailleurs le clavecin et le piano-forte, combinaison plutôt rare. Elle s’est surtout illustrée dans le genre de la sonate accompagnée, alors très en vogue. Si la forme se calque sur le nouveau modèle italien en vogue, les inventions constantes qui innervent ses partitions étonnent encore aujourd’hui : croisements de mains, mains alternées, gammes en octaves brisées, accords répétés aux mains alternées… qui annoncent Liszt ! Ses treize Sonates, toutes écrites entre 1760 et 1785, témoignent de la précocité du talent de la jeune femme. Elle traversa les épreuves de la Révolution avec énergie et intelligence, luttant pour préserver sa famille et son patrimoine. La « Brillante » s’éteignit en 1824 au château de Villers-sur-Mer.
Autre virtuose sous la Révolution et l’Empire, issue de la noblesse de robe lyonnaise, Hélène de Nervo (1764-1836)3, devenue par son mariage marquise de Montgeroult, reçut des leçons de Nicolas Hüllmandel, puis de Muzio Clementi. Pianiste se produisant dans les salons, elle éblouit notamment la jeune Germaine de Staël. Elle jouait aussi avec Giovanni Battista Viotti, le plus illustre violoniste de son temps. Le chef d’orchestre François Habeneck admirait cette artiste qui fut l’une des premières à jouer Bach en France. Le baron de Trémont, esthète distingué, affirmait que « Madame de Montgeroult a été le premier talent de son époque. »
Lors de la Terreur, elle sauva sa tête en improvisant brillamment sur La Marseillaise devant le redouté Comité de salut public ! Les aventures de la marquise, étroitement liées aux évènements politiques, révèlent un tissu complexe de machinations et de conspirations. Elle collabora avec le Théâtre de Monsieur avant d’être nommée professeur de la classe de piano hommes au Conservatoire de Paris – institution tout juste créée en 1795. Pédagogue reconnue, Hélène de Montgeroult s’attela sur la suggestion de son élève Johann Baptist Cramer à la rédaction d’un monumental Cours complet pour l’enseignement du fortepiano (711 pages réparties en 3 tomes contenant 114 études) qui parut en 1814. Elle précisait dans l’introduction de sa méthode « comment faire chanter, comment donner l’illusion du chant, à cet instrument qui y est si peu disposé. » Ses modèles, l’art du bel canto et du violon, s’opposaient à ceux prônés par le Conservatoire attaché à la virtuosité mécanique. Elle laissa une bonne centaine d’œuvres pour la plupart à visée didactique. Si leur structure demeure classique, la mélodie s’y envole de manière particulière. Tout imprégné de Bach, Haendel et Scarlatti, son langage abonde en idiomes pianistiques inédits et en formes nouvelles qui l’établissent en génial annonciateur du Romantisme, anticipant les trouvailles de Schumann, de Chopin et même de Brahms !
Hostile à l’Empire, l’idéal constitutionnel de la marquise s’incarna dans la Restauration. D’une exigence sans concession, optant pour une œuvre plutôt que pour une carrière, elle s’éloigna ensuite des salons pour se consacrer à sa quête intérieure et témoigna en ce sens d’une attitude singulière qui séduira plus tard Schubert et Chopin. Elle finit par s’identifier à l’héroïne de son amie Madame de Staël, dont certains des traits lui furent empruntés et, à l’instar de Corinne, mourut à Florence où elle fut inhumée dans le cloître de l’église Santa Croce.
Explorateur des répertoires méconnus, le pianiste Nicolas Horvath défend avec fraicheur et fougue, élégance et sensibilité l’intégrale des sonates de ces compositrices jouée sur un instrument contemporain, ce qui leur confère une indéniable modernité. Les caractères précurseurs de leurs inventions n’en ressortent que davantage, pour notre plus grand bonheur.
Illustration : Portrait présumé d’ Hélène de Montgeroult
À lire :
À écouter :
1. Cf. Politique Magazine n° 137 de février 2015.
2. L’État présent de la musique en France et en Italie, Londres, 1771.
3. Cf. Politique Magazine n°55 de septembre 2007.
4. Louis-Philippe Girod de Vienney, baron de Trémont, Carnets.