Editoriaux
Organisations Négligemment Gavées
À Gaza, le Hamas détourne l’argent des subventions, d’où qu’elles viennent, pour construire un réseau souterrain et de petites manufactures d’armes.
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Cette nuit, j’ai rêvé que, dans la brume, une femme majestueuse m’apparaissait; elle se tenait sur un trône, ou une cathèdre, plutôt délabrée ; elle avait un maintien noble et désemparé à la fois ; ses vêtements, d’une sobre élégance, étaient usés et même par endroits reprisés maladroitement.
Soudain, elle m’adressa la parole, comme à un témoin, ou un confident :
« Sais-tu que je suis une très, très vieille dame, commença-t-elle ; je suis aussi ancienne que les premiers États ! J’ai appuyé l’autorité des prêtres et des rois dès les premiers âges. On m’a parée de toutes sortes d’attributions magiques et religieuses ; le moindre chef de clan ne pouvait se passer de moi ; j’ai brillé de l’éclat de tous les empires, de tous les royaumes, et même de toutes les républiques. Identifiée aux dieux tutélaires, j’étais indispensable au maintien de la puissance et de l’autorité de leurs empereurs et rois ; j’ai veillé à la continuité des dynasties, et on m’invoquait dès qu’un nouveau pouvoir s’installait.
Je ne peux tout te raconter, mais lorsque Samuel a oint Saül avec sa corne d’huile, je me suis immédiatement donnée à lui ; lorsque Yahvé lui a retiré sa protection et l’a reportée sur le jeune David, j’ai abandonné Saül, et j’ai rejoint David !
Lorsqu’il y a trop de concurrents, je disparais, et c’est le chaos, la guerre civile.
J’en ai accompagné, des chefs, des tyrans, des souverains ; je préférais de beaucoup les lignées familiales ; par exemple, je me suis régalée avec les capétiens ; plus de huit cents ans d’affilée ! Ma relation était simple et de bon goût, j’étais tout bonnement en prise directe avec le Bon Dieu ! C’était du solide ! Et lorsqu’une grande et sanglante chamaillerie familiale s’est produite, j’ai bien été aidée par la petite pucelle Jeanne qui m’a présentée et donnée au jeune Charles VII !
C’est pourquoi j’ai peu apprécié le principe cujus regio ejus religio de la paix d’Augsbourg ; j’ai trouvé que ces princes protestants en prenaient un peu trop à leur aise avec le fondement religieux de leur pouvoir : la suite lointaine ne m’a-t-elle pas donné raison ?
Les choses se sont bien gâtées pour mon cher royaume de France avec la Révolution : tout le monde me voulait, et personne ne réussissait à m’imposer, quel mortel gâchis ! Ensuite, j’ai été prise de force par un certain Bonaparte : intelligent, mais brutal, cela n’a pas duré bien longtemps entre nous.
Et puis, il est arrivé quelque chose d’inédit dans l’histoire des hommes : préparée par les soi-disant philosophes du XVIIIe siècle, et d’autres théoriciens leurs épigones, une trouvaille extraordinaire a vu le jour : le peuple, paysan, ouvrier, fonctionnaire, poète, jardinier, entrepreneur, soldat, prêtre, qui jusqu’alors se contentait de travailler et d’élever ses enfants, ce peuple a été soudain déclaré souverain ! Plus de roi, plus d’empereur, tout pour le peuple et par le peuple !
Entretemps, on a déclaré aussi que Dieu n’existe plus ! Il s’est éteint aussi mystérieusement qu’il avait régné pendant des siècles et des siècles. Plutôt perdue, je me suis demandé alors ce que j’allais devenir ; comment allais-je dorénavant m’unir à l’autorité et la garantir ? L’amour avec un roi, avec un empereur, avec un tyran à la rigueur, passe, mais avec un peuple entier ! Je me sens un peu déconsidérée, dans cette position-là ! On a essayé de me rassurer avec le suffrage universel, on m’a parlé de majorité absolue, on m’a dit que c’est la nouvelle onction, que cela vaut bien l’huile de Samuel… J’ai un peu de mal avec cet accouplement virtuel imposé dans un univers sans Dieu… »
Comme elle se taisait, je lui ai demandé poliment son nom ; elle m’a dit : « je m’appelle Légitimité du Pouvoir ».
Puis la radio m’a réveillé par l’annonce de je ne sais quelle primaire…
Illustration : JOYEUSE, L’ÉPÉE DES ROIS DE FRANCE