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L’embarrassant anniversaire

Dans notre monde tellement friand d’anniversaires, célébrations et commémorations, il y a une date qui, année après année, passe pudiquement sous silence. C’est celle dont les enthousiastes ont décidé, trente ans en arrière, qu’elle marquait la fin du communisme – sa mort même, proclamaient les plus radicaux d’entre eux.

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L’embarrassant anniversaire

Pourquoi l’avoir choisie ? Tout simplement parce que le 25 décembre 1991 Mikhaïl Gorbatchev démissionnait de ses fonctions de président de l’URSS. Ainsi, pour la première fois dans l’histoire, le départ d’un chef d’État a été considéré comme l’achèvement d’une idéologie ; pour la première fois, également, on prenait le risque d’affirmer qu’une doctrine politique avait disparu du jour au lendemain.

Après s’être stérilement agité pendant presque trois quarts de siècle contre l’Union soviétique et avoir vécu dans l’illusion que cette agitation était une forme de vigueur, l’Amérique et tout l’Occident à sa traîne se trouvaient soudain dans un double embarras : l’adversaire avait disparu sans qu’il y ait eu victoire contre lui. Ce vide insupportable devant être comblé, Washington, dont le conflit est une raison d’être, suivi par ses alliés, portèrent leur attention vers le compliqué Moyen-Orient. Ils y perdirent la face à plusieurs reprises. Combattre l’URSS et le communisme sans tirer un seul coup de canon, se contentant de discours grandiloquents et jouant avec l’alternance détente-crispation, avait été tellement plus profitable pour l’ego des Occidentaux. Bien mauvais service que Gorbatchev leur a rendu lorsqu’il a mis en sommeil son empire !

Cette absence de victoire, si fâcheuse pour le « monde libre », a signifié aussi l’absence de justice. Son refus même. Tout a été fait à l’Ouest pour que l’Est ne juge pas, ne punisse pas ses criminels. « Pas de vengeance ! » était l’injonction que lançaient presque toutes les capitales occidentales, Paris en tête. Y a-t-il eu arrangement en ce sens entre Gorbatchev et ses grands amis démocrates ? Tout porte à le croire. Après avoir, pendant des décennies, traité de haut ou ignoré les victimes, l’Occident continuait de se salir en s’évertuant à protéger les bourreaux. C’est en cohabitation avec l’ordure du passé que les sociétés de l’Europe centrale et orientale devaient se reconstruire. Le résultat n’est pas probant.

Le progressisme, fruit de la subversion soviétique

Nombre de « révélations », ces trente dernières années, ont voulu nous faire croire que l’Union soviétique a été, à des époques diverses, sur le point de déclencher des opérations militaires dévastatrices pour notre monde libre et paisible. Il s’agissait non pas tellement de nous faire la démonstration de l’agressivité moscovite que de nous montrer à quel point notre sagesse diplomatique et nos faramineuses dépenses militaires avaient su calmer les ardeurs belliqueuses du Kremlin. Rassurés, nous refusions de voir que, faute de nous occuper militairement, Moscou s’occupait à nous anéantir l’esprit.

La disparition soudaine de l’ennemi s’est accompagnée, même si nous n’y avons prêté aucune attention, de la disparition de la référence négative qu’était le pays du « socialisme réel ». Libérées de cet inconvénient, décomplexées, les « forces du progrès », sous toutes leurs formes, pouvaient refleurir. Pendant soixante-dix ans, avec ingéniosité et une formidable efficacité, sans regarder à la dépense, Moscou a infiltré une partie du monde politique et intellectuel occidental, semant les graines de son idéologie, soignant la germination. Et même si, à un certain moment, le jardinier s’est retiré dans sa cabane pour un très long repos, les plantes continuent de pousser, de plus en plus envahissantes, étouffantes.

Le progressisme occidental, revendiquant avec de plus en plus de virulence sa prééminence morale, a pris des forces, s’est posé en bouclier contre le fascisme rampant. En leur temps, l’Union soviétique et les partis communistes subordonnés ne prétendaient pas autre chose – la différence étant que, de nos jours, le péril fasciste n’est qu’un leurre, un prétexte. L’Amérique, qui a importé, il y a quarante ans, des bribes de gauchisme philosophique européen, leur a donné une structure, les a élevés en système, et les exporte sous la forme du très nocif politiquement correct. Engendreur de révolutions radicales – décolonialisme, ultra-féminisme, indigénisme, migrationisme, transsexualisme, etc. –, le politiquement correct porte en lui tous les ingrédients de ce qui était autrefois la subversion soviétique ; il en est l’utile continuation.

Désormais, aucun domaine de la vie publique n’échappe au progressisme : il corrompt l’enseignement depuis les classes primaires jusqu’à l’université (les campus américains vivant, de ce fait, une tragique déchéance) ; il est dans les lettres et les arts ; il a fait main basse sur la presse ; il a soumis les politiciens, dont même ceux qui s’affirment de droite tiennent, pour la plupart, des propos de gauche. Il régit l’action des gouvernements et des institutions internationales – et ce n’est pas pour rien que l’ancien dissident Vladimir Boukovski considérait l’Union européenne comme une nouvelle Union soviétique déplacée à l’Ouest et se montrant moins efficace.

S’il n’y a aucune raison sérieuse de fêter chaque 25 décembre la mort du communisme, il nous faudrait, en revanche, envisager de déplorer, à la même date, la naissance du progressisme totalitaire, accepté comme un bienfait, sauveur d’une humanité qui allait mal sans le savoir. Ce jour, il conviendra – même si la chose est fort déplaisante – de saluer la grande performance post-mortem de l’Union soviétique : s’être évité une guerre de conquête en poussant l’Occident à se détruire tout seul.

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