Notre généreux Président, non content de distribuer de l’argent à droite, à gauche, les caisses de l’État étant inépuisables, a décidé de rhabiller les policiers.
Ça ne me paraissait pas urgent : je n’ai jamais vu d’uniformes élimés, troués, rapiécés ; quelques-uns, certes, sont, retour de banlieue parfois un peu fripés, tachés et poussiéreux. Mais enfin les policiers auront, retour en arrière, un calot au lieu d’une casquette et, un pas en avant, un « polo modernisé ». J’ai montré à ma tante Euphrasie la photo de ces nouveaux policiers ainsi fringués. Elle s’est exclamée, l’attendrissement extatique et la larme à l’œil :
– Mon Dieu, qu’ils sont mignons !
Cette réaction, dans un premier temps, m’inquiéta. Je croyais dans mon innocence que pour tenir les voyous en respect, les policiers devraient être laids à faire peur. Je les imaginais comme des militaires américains en Irak, tels qu’on les voit dans un film de Clint Eastwood, avec des cornes sur les côtés de la tête, une lampe frontale qui les fait ressembler dans la nuit à des cyclopes, des pinces partout, des tas d’appareils informatiques sur le poitrail et l’abdomen, capables de filmer, d’enregistrer et de propulser des rayons meurtriers, dans chaque pince des sortes de petits bazookas très efficaces et, comble de sournoiserie cruelle, quasi silencieux, juste un petit « poc ». Je me disais : « Devant de tels monstres à la fois futuristes et préhistoriques, qu’est-ce que les voyous vont trembler ! »
En quoi je me trompais. Tante Euphrasie, finalement, m’a ouvert les yeux. On sait assez, depuis Mme Traoré et d’autres gens nombreux et bien-pensants, que les voyous n’attaquent jamais, qu’ils ne font que riposter, qu’ils subissent des provocations, des exactions, des humiliations, des bavures et de tas d’autres vilaines choses. Mettez-leur devant eux des policiers à l’aspect dangereux, repoussant et même répulsif et leur réaction sera, hélas, prévisible et justifiée. Maintenant, si on met devant eux des mignons, comme l’a fait tante Euphrasie, ils vont s’attendrir ; ils vont les dorloter, les caresser, les câliner, leur faire de big bisous et des coucous dans le cou. Ce sera irénique.