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Oliver Twist

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Oliver Twist

Avec Stanley Kubrick, David Lean (1908-1991) fait partie des rares cinéastes qui comptent quasiment un chef-d’œuvre par film. Lean est un authentique artisan du cinéma ayant exercé tous les métiers – ou presque – attenants à ce qui n’allait pas tarder à devenir une industrie. Il fut même l’un des derniers du septième art britannique, tandis qu’il n’a pas vingt ans, à avoir débuté à l’ère du muet, alors déclinant (Quinneys de Maurice Elvey en 1927). De « clapman », il devint, au fil des années, assistant-monteur, assistant-réalisateur puis monteur en chef. Et David Lean fut un excellent monteur. Pour comprendre ce métier si particulier qui peut parfois sauver un mauvais film du naufrage, il faut lire J’ai grandi à Hollywood, un des meilleurs livres consacrés à Hollywood, dans lequel son célèbre auteur, Robert Parrish, monteur lui-même – avant d’être le talentueux réalisateur de L’Aventurier du Rio Grande (1959), atypique western avec Robert Mitchum et Julie London – en souligne l’importance. Si l’on retient aisément de Lean les grands succès mondiaux que furent Le Pont de la rivière Kwaï (1957, avec son acteur fétiche, Alec Guinness et Sessue Hayakawa), Lawrence d’Arabie (1962, toujours avec Alec Guinness entouré de Peter O’Toole et Omar Sharif), Le Docteur Jivago (1965, encore et toujours avec Alec Guinness, de nouveau avec Omar Sharif, puis Julie Christie, Géraldine Chaplin et Rod Steiger), ou encore La Fille de Ryan (1970) ou La Malle des Indes (1984), l’on a peut-être tendance à passer un peu rapidement sur d’autres films, certes plus anciens, mais autrement plus révélateurs de la griffe artistique de Lean. L’on pense, en l’occurrence, à ses deux magistrales adaptations d’œuvres de Charles Dickens, Les Grandes espérances (1946, avec John Mills, Robert Newton, Alec Guinness et Jean Simmon) et surtout Oliver Twist (1948) avec Alec Guinness, Robert Newton et John Howard Davies dans le rôle du jeune Oliver, film confinant, selon nous, au génie cinématographique. Si l’on ne devait retenir qu’une qualité, entre mille et cent que comporte le film, ce serait immanquablement la photographie supervisée par Guy Green. La beauté esthétique y culmine dans une pureté graphique rarement égalée, chaque plan pouvant s’apparenter à de véritables tableaux. Ajoutons, bien évidemment, la maîtrise fine et assurée de la caméra de Lean qui restitue, avec justesse et sensibilité, l’atmosphère et la sociologie du Londres victorien. Si la critique a unanimement salué la quasi perfection littéraire de cette retranscription aussi fidèle de l’œuvre emblématique du Victor Hugo anglais, c’est incontestablement dû au « réel sens artistique [de Lean] : ses films peuvent être à la fois audacieux, captivants ou étourdissants tout en restant d’une grande beauté », comme le souligne pertinemment le journaliste britannique Jeremy Pascall dans Hollywood, 50 années de cinéma (1981, Pierre Bordas). Quant au jeu des acteurs, certains, affublés de trognes qui les rendent dignes d’être directement sortis d’un tableau de William Hogarth, reconnaissons qu’il touche, là encore au sublime. Le petit John Howard Davies incarne la quintessence de l’indicible fragilité de l’enfance ; son authentique visage d’ange rayonne de cette candeur immaculée qui est, sans doute, la plus belle définition de l’innocence. Robert Newton – que l’on retrouvera avec un plaisir enfantin dans le rôle de Long John Silver, le pirate à la jambe de bois de L’Ile au trésor (1950) de Byron Haskin ou dans celui de Barbe Noire le pirate (1952) de Raoul Walsh – campe l’inquiétant et irascible Bill Sikes qui n’aura aucune vergogne à s’en prendre au frêle Twist. Assurément, la palme revient à Alec Guinness, méconnaissable dans le rôle cynique et d’une duplicité sans pareille de Fagin, en chef de bande crasseux et couard que Dickens décrivait ainsi : « Un très vieux juif ratatiné, dont le visage répugnant à l’aspect dépravé était couvert par quantité de touffes de poils roux ». Bien que l’origine juive du personnage n’y soit nullement évoquée, le film ne put manquer d’encourir les foudres de la censure, notamment américaine qui le distribua tardivement (en 1951) en même temps qu’elle l’amputa de près d’un quart d’heure, mais aussi en Allemagne, en Israël – ou en Égypte, où on lui reprocha, en revanche, d’avoir donné une image trop sympathique de Fagin (!). En 2005, le British Film Institute répertorie le film parmi les 50 meilleurs films britanniques du XXe siècle.

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