Le 14 juillet dernier, les pouvoirs publics ont voulu organiser « le défilé du centenaire ». On
se demande bien pourquoi !
Parce que le 14 juillet 1914, il ne s’est pas passé grand-chose, l’opinion ne s’intéressant pas beaucoup à cet archiduc (comment déjà ?) assassiné le 28 juin dans cette ville que sans doute peu de Français auraient pu situer sur une carte. Comme on le sait, à partir du 20 juillet, les Français sont bien plus passionnés par le procès de Madame Caillaux, qui a tué le directeur du Figaro, GastonCalmette, au mois de mars précédent. Quant au 14… c’est l’été, les moissons, et tout va bien !
Nos gouvernants (d’aujourd’hui) ont voulu à tout prix lancer toute une série de commémorations dès l’année dernière, alors que, là non plus, l’année 1913 n’a pas été si marquante du point de vue militaire… Mais les conseillers en communication de l’Elysée ont dû insister pour reconstituer le plus tôt possible une sorte d’Union sacrée devant aider le président normal à conquérir quelques points de popularité – ou plus modestement « d’opinions favorables ». Las ! Tout cela est finalement passé inaperçu et a été absorbé par les élections de 2014, municipales puis européennes.
Concernant le défilé du 14 juillet, un détail pouvait être relevé : place de la Concorde, face à la tribune, se trouvait une rangée de « poilus » en tenue bleu horizon. Aucun conseiller militaire n’est venu dire que l’introduction de la tenue « bleu horizon » et de ses fameuses bandes molletières ne date pas de 1914, mais de 1915 ? En 1914, l’infanterie française affrontera les mitrailleuses allemandes en pantalon garance -quelle aubaine, même pour un prussien atteint de myopie prononcée ! – et cela alors que le ministre de la Guerre Messimy avait initié un décret paru le 27 juillet 1914 prévoyant le remplacement des uniformes par d’autres aux couleurs moins visibles ; mais changer les pantalons de toute une armée entrée en guerre… cela prit du temps !
« Le pantalon rouge, c’est la France »
Un des prédécesseurs de Messimy, Eugène Etienne, n’avait-il pas dit, pas très longtemps avant : « le pantalon rouge, c’est la France ! » ? Quant aux députés du Vaucluse, département producteur de la garance et de sa fameuse teinture, ils s’opposèrent vivement à toute tentative de changement ; ainsi la tenue « réséda », gris verdâtre plus discret, resta une expérience sans suite.
Blaise Cendrars, dans la Main coupée, dénonce avec la verve qu’on lui connaît, toutes ces approximations vestimentaires. Ce n’est que fin 1915 que le bleu horizon fut généralisé.
Bref, détail qui n’intéresse personne, ou bien crainte (nos gouvernants ne ressentent-ils pas davantage la peur que la crainte ?) qu’une « polémique » (ah ! les polémiques !) ne (re)surgisse : » Comment ? les pantalons étaient rouges ?!… » A voir et à revoir sur ce sujet l’excellent Téléfilm d’Yves Boisset, le Pantalon, avec l’excellent et regretté Bernard-Pierre Donnadieu qui jouait à la perfection les salauds bornés (et gradés, en l’occurrence).
En 1914, la couleur garance n’arrangea rien, certes. Cependant si trop de soldats français tombèrent, c’est surtout du fait de la stratégie d’offensive à tout prix, qui dura jusqu’à l’installation de la guerre de position.
Comme les pantalons garance, les tentatives de récupération par le gouvernement de l’Histoire de la Grande Guerre se voient un peu trop… Soudainement, on se souvient, de toute cette Histoire que l’on écrit avec un petit h et que l’on veut bannir des livres et des mémoires ressurgit pour être glorifiée et, surtout, pour faire couler une larme de compassion et de solidarité confraternelle. Et puis il y a Jaurès qui a eu la bonne idée d’être assassiné. Quelle figure ! Quel martyr ! Commémorons, commémorons, avec des trémolos dans la voix !
Pour le moment, la mayonnaise ne prend pas, et les sondages, même estivaux, restent désespérément bas.
Ne nous y trompons pas ! Toute commémoration de cette terrible guerre est louable, salutaire, nécessaire. L’évocation des souffrances et des sacrifices des soldats, comme de la population civile, est un devoir pour chaque génération, à l’égard de la génération qui suit. Tous autant que nous sommes, nous sommes redevables d’un devoir de mémoire, d’un devoir de transmission. Aucun souci, car nous savons nos devoirs, nous savons notre Histoire, nous gardons nos mémoires. Alors n’essayez pas, Messieurs et Mesdames les donneurs de leçons, sélectionneurs d’informations, « transformeurs » de l’Histoire, de nous les voler !
2014 célèbre 1914 ; tout aussi important est le souvenir de 1944, année de libération, mais aussi année de douleur, avec ses exécutions, ses massacres, et aussi ses bombardements meurtriers. Et reconnaissons à François Hollande, président du Conseil général de Corrèze, le mérite d’avoir commémoré le massacre de Tulle du 9 juin 44.