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Le rêve de Monsieur Dême

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Le rêve de Monsieur Dême

Rien n’allait plus chez Monsieur Dême. Il avait pourtant une famille très chic : sa femme, intelligente et féministe de bon ton, lui avait donné de beaux enfants très doués : l’aîné, champion d’éco-gestion, la cadette, icône de toutes sortes de manifestations culturelles créatives et iconoclastes, le puîné, chevalier du mérite transhumaniste… et le dernier s’interrogeait brillamment sur son identité de genre dans les colonnes d’une revue réservée aux élites parisiennes… Malgré ces indéniables réussites, Monsieur Dême n’était pas heureux, et ne savait pas pourquoi. Etait-ce à cause de cet individu qui l’avait agressé dans le métro pour une fois qu’il s’y trouvait ? Etait-ce pour cette histoire de squat de sa villa d’Arcachon, qu’il venait enfin de débrouiller après des mois d’efforts et de dépenses de justice ? Peut-être. Mais il sentait qu’il y avait autre chose, comme un nuage gris sale qui se posait partout, même sur sa collection de kriss malais, ses tableaux achetés à la FIAC, spécialement celui qui représentait Jeanne d’Arc métamorphosée en ornithorynque… Non, vraiment, mais pourquoi ?

Et voici qu’une nuit, il eut ce rêve : il était sur une autoroute en or au volant de sa voiture électrique dernier cri, et soudain, devant lui, immense, barrant les huit voies jusqu’au ciel, un écran, étincelant comme un miroir ; il reflétait tout, et en même temps, il montrait des images fugaces et effrayantes ; des incendies, des explosions, des cadavres en putréfaction, dévorés par de hideux ptérodactyles… Et les freins de sa voiture ne répondaient plus ! Il percuta ce mur, traversa ce miroir, et se retrouva de l’autre côté, assis nu dans la boue, tout seul, grelottant de froid. Puis, sans transition, il fut dans une maison, la sienne sans doute, mais il ne la reconnaissait pas : bien moins grande que celle de Neuilly, et surtout, sale et poussiéreuse, jonchée de jouets cassés, de poupées mutilées, de débris indistincts. Devant lui, une porte fermée l’attirait ; il cherchait anxieusement quelle petite pièce de son enfance se trouvait derrière ; il essayait de se lever pour l’ouvrir, mais une lassitude cotonneuse l’en empêchait.

Soudain, on appelle du dehors : « – Monsieur Dême, Monsieur Dême, ouvrez-nous, ouvrez-nous ! – Qui êtes-vous, que me voulez-vous ? – À vous, rien, nous voulons entrer dans la petite pièce ! – Mais elle est fermée, il y fait noir, et je ne sais pas ce qu’il y a dedans ! – Vous plaisantez, regardez sous la porte… » Dême se retourna, et il vit un rais de lumière sous la porte. En même temps, les étrangers étaient entrés : trois hommes, visiblement fatigués par un long voyage ; ils ne descendaient ni d’un avion, ni d’une luxueuse limousine ; pourtant,ils étaient beaux et distingués ; sans rien lui demander, ils passèrent devant lui, avec leurs sacs qui faisaient un bruit de papier-cadeau, et s’approchèrent de la porte mystérieuse. Le plus vieux toqua respectueusement…Et la porte s’ouvrit sur une merveilleuse lumière, une pure lumière d’aube, comme Monsieur Dême n’en avait jamais vu. « Mais arrêtez, Messieurs, s’écria-t-il, vous êtes quand même chez moi, ici ! » Et, du fond de la pièce, une voix de jeune femme, aux inflexions d’une douceur ineffable lui répondit en l’appelant par son prénom : « Mais oui, Théodore, viens nous voir, tu es chez toi ici plus que partout ailleurs, viens, je vais te présenter à mon fils… »

Et c’est alors que Théodore Dême se réveilla. Que fit-il de ce rêve ? L’oublia-t-il vite, comme il advient souvent des rêves ? S’en trouva-t-il transformé ? Était-ce tout à fait un rêve ? Ami lecteur, je vous laisse en décider.

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