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Paul Rusesabagina, de héros à terroriste

Hôtelier devenu homme politique, l’homme qui a sauvé les Rwandais dans les années 90 fait partie de l’opposition : on l’accuse donc de vouloir renverser Paul Kagame, l’actuel président rwandais.

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Paul Rusesabagina, de héros à terroriste

En 2004, lorsqu’Hôtel Rwanda sort sur les écrans des salles de cinéma, le film connaît un immense succès international et a même l’honneur d’être nominé aux oscars l’année suivante. À travers le quotidien de Paul Rusesabagina, gérant de l’hôtel Diplomate réfugié dans celui des Mille Collines à Kigali, la capitale du Rwanda, le spectateur est plongé dans l’horreur d’un génocide perpétré par les Hutus, l’ethnie au pouvoir, qui entend éliminer tout ce qui ressemble à un rebelle tutsi. L’homme devient un héros, aux yeux de la communauté internationale, pour avoir sauvé 1268 personnes. Récemment, c’est pour une toute autre actualité que Paul Rusesabagina a fait les titres des médias : arrêté au Rwanda, l’ancien héros a été emprisonné pour activités terroristes.

À l’aéroport de Kigali, on s’affaire, ce 6 avril 1994. Le Falcon 50 du président Juvénal Habyarimana s’apprête à atterrir. À son bord, divers ministres, son chef d’état-major, ses pilotes français et le président du Burundi, Cyprien Ntaryamira. Ils reviennent d’Arusha où le dirigeant rwandais a signé un accord qui est censé mettre fin à la guerre civile. Soudain, un éclair déchire le ciel. L’avion présidentiel vient d’être la victime d’un missile. Une explosion qui signe le début d’un des plus grands génocides de l’histoire africaine. Hutus et rebelles tutsis  s’accusent respectivement de cet assassinat. La région des Grands Lacs sombre dans la violence et le massacre ne va épargner aucune famille.

Propriété de la compagnie Sabena, l’hôtel quatre étoiles Les Mille Collines est un établissement réputé de la capitale. Il accueille aussi bien diplomates, touristes que militaires. Il va devenir le refuge des Hutus modérés et des Tutsis qui tentent d’échapper aux militaires et aux miliciens Interahamwe qui tentent de les exécuter, voire même à leurs proches, qui n’hésitent pas à tuer sans complexe tout ce qui ressemble de loin ou de près un « cancrelat » comme le martèle sur ses ondes et toutes les heures Radio Milles Collines. C’est dans cet hôtel que Paul Rusesabagina va se réfugier avec son épouse et sa famille, archétype de la société rwandaise qui fait fi des théories raciales dont les origines trouvent leurs racines dans la colonisation belge.

L’odeur de mort dans les rues

Paul Rusesabagina, né en 1954 d’une mère tutsie et d’un père hutu, connaît bien l’établissement, qu’il a dirigé de 1984 à 1993 comme directeur-adjoint. Le directeur néerlandais ayant été évacué comme un grand nombre d’occidentaux, pris au piège du conflit, il prend la décision de s’occuper de l’établissement. Aux yeux du monde entier, il va devenir un héros. La ville est prise par l’odeur de mort qui règne dans chaque rue. La passivité de la mission d’interposition onusienne interpelle tout comme l’attitude des Français qui soutiennent en sous-main l’Akazu, le clan présidentiel. Des centaines et des centaines de Rwandais affluent vers l’hôtel, espérant être évacués avec les Européens. 1268 personnes s’entassent dans 113 chambres, les tensions s’exacerbent et  Paul Rusesabagina a toutes les peines du monde à les calmer. La piscine va servir de réservoir commun car il a dû couper l’eau afin de la rationner.  Il mobilise le personnel, comme les clients, pour nourrir tout ce monde désemparé. Il est abandonné à son sort par la Sabena et par le reste de la communauté internationale qui lui demandent de temporiser autant qu’il peut. Aimable, toujours un mot pour tous, affable, Paul Rusesabagina a aussi des contacts au sein de l’état-major rwandais qui évite de trop s’approcher de l’hôtel. En particulier avec le colonel Augustin Bizimungu qu’il n’hésite pas à tancer dès lors que celui-ci commence à se faire menaçant ou lorsqu’une milice demande qu’il livre les Tutsis réfugiés à l’hôtel. « Quand les miliciens et l’armée sont arrivés avec l’ordre de tuer mes hôtes, je les ai invités dans mon bureau, les ai reçus comme des amis, leur ai offert de la bière et du cognac et les ai convaincus d’oublier leur mission pour ce jour-là. Quand ils sont revenus, je leur ai encore donné à boire » écrira-t-il dans son livre Un homme ordinaire, paru en 2007 aux éditions Buchet-Chastel.

un génocide de 800.000 victimes

La suite est connue. Celui qui est surnommé le « Schindler africain » arrive à faire évacuer tous les réfugiés sous la protection de l’ONU. Paul Rusesabagina et sa famille quittent le pays pour la Tanzanie puis la Belgique. Il va donner des centaines de conférences, sera reçu par les plus grandes administrations et prêche pour la réconciliation nationale en dépit des menaces de morts qui continuent de peser sur lui. Mais tous les Rwandais n’adhèrent pas à cette thèse angélique survendue par Hollywood. Pour une partie de ses compatriotes, son comportement n’a pas été celui décrit dans le film ou sa biographie. Il est accusé d’avoir fait le jeu du pouvoir, d’avoir même tiré un profit financier de la situation. « Au début, je facturais les nuitées puis j’ai arrêté » se défend Paul Rusesabagina. Lorsque le film est sorti, le président Paul Kagame (qui a pris le pouvoir à la mort d’Habyarimana) et son entourage l’ont regardé. Fureur dans le camp présidentiel tutsi qui dément que les choses se soient passées ainsi. Y compris par les protagonistes concernés de cette histoire comme le réceptionniste de l’hôtel devenu le méchant du film et qui nie avoir fait venir du champagne et des prostituées dans l’établissement. « Je n’étais qu’avec mes deux frères et une autre famille dont une femme enceinte » dit Pasa Mwenenganugye, devenu l’odieux revanchard Grégoire dans Hôtel Rwanda.  Paul Rusesabagina, un « salaud », tout compte fait ? Ses détracteurs, à commencer le régime rwandais actuel ou Ibuka, l’association des survivants du génocide, l’affirment aux journalistes qui tentent de découvrir la facette noire qui se cache derrière le héros. Pour Paul Rusesabagina, le président Kagame veut trouver un bouc-émissaire afin de cacher sa véritable participation aux meurtres des deux présidents rwandais et burundais et son implication dans le génocide qui a coûté la vie à 800 000 personnes.

Les modalités de son arrestation, le 31 août dernier, restent controversées. Officiellement, elle aurait eu lieu au Rwanda avec une « coopération internationale ». Mais pour la porte-parole du Mouvement rwandais pour le changement démocratique (MRCD), que Paul Rusesabagina a fondé en 2017, il a été enlevé. Que reproche-t-on au héros d’Hôtel Rwanda ?  De financer les activités du groupe rebelle Front de libération nationale (FLN) qui sévit dans une partie du pays. Si l’homme a d’abord nié toute implication, il a fini fin septembre par reconnaître les soupçons qui pèsent sur lui. « L’accord que nous avons signé pour former le MRCD, comme une plateforme politique, incluait la formation d’un bras armé appelé le FLN. Mais mon rôle était de travailler pour cette plateforme politique et j’étais en charge de la diplomatie » a confessé au tribunal Paul Rusesabagina qui doit désormais répondre de charges de terrorisme et de kidnapping. Désormais en prison, il continue de plaider sa bonne foi et, tout comme sa famille, se dit la victime innocente d’un complot orchestré par le régime Kagame.

 

 

 

 

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