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The Intruder

Tout le monde, ou presque, a oublié Roger Corman (94 ans au compteur !) que la critique, un tant soit peu snob, a eu tôt fait de ranger parmi les mille pépites de cette catégorie B si dépréciée par les pseudo-cinéphiles.

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The Intruder

À l’instar d’Allan Dwan, de Nathan Juran ou de Jacques Tourneur, il fut de ces artisans, souvent prolifiques, aux maigres moyens mais à l’imagination fertile, sachant tirer des acteurs qu’ils dirigeaient la quintessence d’eux-mêmes. L’on doit à Corman une série de films « lovecraftiens » au sens large de l’épithète, tant ses adaptations d’Edgar Allan Poe empruntent à l’onirisme démoniaque du père de la cité de Cthulhu. L’on songe, par exemple, à La Chute de la Maison Usher (1960) avec un Vincent Price peroxydé aussi énigmatique qu’halluciné. Avec le même, l’on citera également La Malédiction d’Arkham (1963), subtil entremêlement de L’Affaire Charles Dexter Ward de Lovecraft et du Palais hanté, poème en prose aux allures gothiques de Poe, film d’autant plus intéressant qu’il n’est pas sans évoquer l’ambiance si caractéristique des studios de la Hammer.

On pourrait être intarissable sur l’œuvre horrifique et d’un esthétisme souvent flamboyant de ce réalisateur très inspiré auquel on doit aussi un honnête film de gangsters, L’Affaire Al Capone (1966) avec Jason Robards. Pourtant, si ces films et bien d’autres (La Petite boutique des horreurs, Le Corbeau ou Le Masque de la Mort Rouge, par exemple) sont à mettre à son palmarès, il en est un, moins connu – quoiqu’ayant reçu récemment les honneurs d’une louable rediffusion télévisuelle –, qui sort incontestablement du lot et que Corman lui-même considérait comme une de ses réussites : The Intruder (1962). Tourné in situ, c’est-à-dire dans le « Old South » américain, dans des conditions éprouvantes, le film narre l’arrivée dans une petite bourgade tranquille d’Adam Cramer (campé par William Shatner, que la série Star Trek rendra vite célèbre), « travailleur social » charismatique qui va s’efforcer de retourner la population contre la nouvelle jurisprudence de la Cour Suprême (arrêt Brown v. Board of Education rendu en mai 1954) frappant d’inconstitutionnalité la ségrégation dans les écoles. Sous son influence, les habitants redoubleront d’hostilité à l’endroit de la communauté noire. Nous ne dévoilerons pas l’issue du film, sauf à dire que l’action délétère de Cramer aura raison de l’indolent consensus d’une petite ville provinciale confortablement assise sur ses indiscutables acquis idéologiques. Cramer en fera également les frais…

Si l’on devait résumer l’œuvre à une dénonciation du racisme, l’on ne manquerait certes pas la cible mais sans viser précisément en son centre. On peut certes considérer The Intruder comme la préfiguration de films interraciaux inaugurés en 1960 par Le Sergent noir, magnifique western de John Ford, et poursuivis, par exemple, par Stanley Kramer avec Devine qui vient dîner (1967) avec Sydney Poitier, Katharine Hepburn et Spencer Tracy, et qui, tous, ouvriront la voie à la « Blaxploitation » des années 1970. Mais passerait-on à côté du principal attrait du film qui s’attache aussi bien à disséquer les arcanes de la manipulation des foules. Sous ses airs de « gendre idéal » aux belles manières, William Shatner revêt les traits d’un personnage ambigu, fanatique et opportuniste. Il ressort de sa personnalité, somme toute fragile, un aspect corrupteur des âmes et des corps – n’essaiera-t-il pas de circonvenir la très jeune fille d’un journaliste en vue dans la communauté ? Superbement éclairé dans un somptueux noir et blanc, des plongées et contre-plongées à l’esthétisme évocateur, une distribution sans défaut ni fausse note – jusqu’à Leo Gordon en VRP cocu mais profondément perspicace et lucide –, autant de qualités qui font de ce film un rare chef d’œuvre.

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