La Femme qui faillit être lynchée
Joyau inconnu, d’un réalisateur (injustement) méconnu, d’un genre disparu (ou peu s’en faut), La Femme qui faillit être lynchée (Woman They Almost Lynched) mérite amplement d’être tiré de l’oubli. On saura gré aux éditions Sidonis Calysta d’avoir ressorti en DVD ce petit western d’Allan Dwan, de 1953, mêlant tragédie et romance sur fond d’extrême violence au milieu d’une Amérique déchirée par une guerre fratricide. Film d’autant plus original par son scénario que les femmes sont à l’honneur, ce qui ne devrait pas déplaire à nos envahissantes féministes professionnelles des plateaux TV. Mais quelles femmes, aussi ! À poigne, en pantalon de cuir, révolver ou robe à frou-frou, ces dames ne s’en laissent pas compter par des hommes qui ne cessent de les précipiter dans leurs mâles inconséquences. L’action se passe en pleine guerre civile dans une ville située sur la frontière séparant les États du Missouri (nordistes) et de l’Arkansas (confédérés), dont le maire, une femme, fait pendre quiconque aurait rompu le pacte de neutralité. Tâche rendue plus délicate lorsque des hors-la-loi (menée par le sinistre gang des Quantrill dont les frères Younger ainsi que Franck et Jesse James sont les redoutables piliers) y font leur entrée après avoir capturé une voyageuse venue voir son frère, tenancier d’un hôtel de passe. Naguère liée à ce dernier, l’épouse de Quantrill provoque sa mort malgré elle. Quant à la voyageuse, elle n’a d’autre choix que d’assumer la responsabilité d’un établissement criblé de dettes. Pendant que les hommes s’adonnent à leurs affaires louches, les deux rivales, animées par une haine mutuelle, vont farouchement s’affronter (le pugilat dans le saloon ou le duel dans la rue centrale valent le détour). Contemporain de David W. Griffith, l’auteur de Naissance d’une nation (1915), Allan Dwan, qui a déjà derrière lui une impressionnante carrière cinématographique, nous livre une œuvre singulière. Certes, l’année précédente, Fritz Lang avait réalisé L’Ange des maudits (Rancho Notorious) avec Marlène Dietrich (déjà Femme ou démon dans le film de Georges Marshall en 1946) et en 1951, Dwan, encore, avait tourné La Femme aux revolvers (Montana Belle) avec Jane Russell (d’une inoubliable sensualité dans Le Banni de Howard Hugues de 1943). Et Johnny Guitar de l’immense Nicholas Ray ne verra le jour qu’en 1954, tandis que Samuel Fuller ne mettra en scène Barbara Stanwyck, reine de la prairie sur le déclin, au milieu de Quarante tueurs (Forty Guns) qu’en 1957. Autant de westerns illustrant la foncière inégalité entre « les femmes et les hommes », les premières, dotées d’un atout charme incontestable, s’avérant à tous égards bien plus dangereuses que les seconds lorsque, au surplus, elles sont douées de la gâchette. « Cinéma américain par excellence », selon la fameuse formule d’André Bazin, le western n’a rien été d’autre que le miroir d’un Ouest impitoyable où se livraient des luttes bien plus cruciales et mortelles que nos dérisoires guerres des sexes postmodernes.
Par Aristide Leucate
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