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Plaidoyer pour l’imperfection de la nature humaine

Blanche Streb a exploré avec minutie, intelligence et inquiétude toutes les conséquences sociales et morales des avancées scientifiques en matière de procréation.

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Plaidoyer pour l’imperfection de la nature humaine

Alors que la France s’apprête à actualiser sa loi « bioéthique », un livre est à mettre entre les mains de tous ceux qui veulent défendre l’être humain contre les conséquences de sa propre folie en matière de procréation : Bébés sur mesure, publié par Blanche Streb en 2018. Loin d’être une leçon de morale jouant sur notre peur du progrès, ce livre est un essai rendant accessible la compréhension des techniques récentes autour du début de la vie humaine, afin de mettre en lumière leur danger d’un point de vue éthique et médical. L’auteur a travaillé douze ans en recherche et développement dans l’industrie pharmaceutique avant de devenir la directrice de la formation et de la recherche d’Alliance Vita. Après un exposé détaillé de plusieurs techniques actuelles, les deux dernières parties traitent des conséquences de l’irruption de la technique dans le domaine de la procréation, avec une rare finesse d’analyse.

Le “sur mesure”, ou l’eugénisme bourgeois

Dans la première partie, De la couette à l’éprouvette, l’auteur montre comment le développement de techniques en apparence positives a ouvert la porte à une dérive qui s’accélère. D’un côté l’infertilité est devenue plus fréquente pour diverses raisons, dont certaines liées à nos choix de société, ce qui explique le développement de techniques de PMA toujours plus pointues et leur utilisation croissante ; de l’autre, l’importance du « projet parental » dans la valeur octroyée à une grossesse a augmenté, et on ne conçoit plus qu’une grossesse non planifiée jusqu’au moindre détail puisse être une heureuse surprise. La convergence de ces deux évolutions a créé une sorte de droit à l’enfant, qui dérive vers le droit à un enfant « sur mesure ».

La possibilité du diagnostic prénatal de certaines maladies fait déjà peser sur les parents d’enfants « différents » le soupçon d’être d’un égoïsme inhumain – oser faire naître un tel enfant malgré l’évidence qu’il sera malheureux (et un poids pour la société ?), quelle horreur ! Le recours aux techniques de fécondation in vitro ouvre la voie à des critères subjectifs. La description que fait l’auteur de la marchandisation progressive des gamètes est inquiétante. Parmi les exemples donnés, difficile de savoir lequel doit nous interpeler le plus : choisir les donneurs pour s’assurer que l’enfant sera sourd comme ses parents, ou doué d’un quotient intellectuel au-dessus d’un certain seuil ? Il n’y a plus d’autre limite que l’imagination des commanditaires. Les critères des médecins ne devraient pas être exempts de notre soupçon. L’auteur montre comment l’eugénisme – chercher à améliorer l’espèce par la naissance d’une plus grande proportion de bébés « sains » – revient à la mode. On voudrait nous faire croire qu’il y a un eugénisme négatif (éliminer les bébés malades) et un eugénisme positif (faire naître des bébés parfaits), mais ce sont les deux faces d’une même pièce. Or, lors d’une FIV, le tri des embryons est systématique et laissé à l’appréciation des médecins, qui développent des techniques toujours plus sophistiquées ; certains proposent de le confier à l’intelligence artificielle, plus « objective ». Par ailleurs, le diagnostic pré-implantatoire (DPI) se généralise, et les raisons pour lesquelles il peut être demandé augmentent.

Qu’est-ce qu’un bébé parfait ? Sera-t-il bientôt considéré comme aussi moralement douteux de concevoir un petit homme naturellement sans passer par la sélection in vitro qu’il l’est aujourd’hui de laisser vivre un bébé trisomique ? La loi bioéthique telle qu’elle a été votée et amendée à l’Assemblée nationale supprimant le lien entre infertilité et recours à la PMA, sommes-nous si loin d’un tel futur ? On peut être toutefois rassuré que cette loi prévoit d’interdire la gestion des gamètes à des centres privés non contrôlés par l’État, ainsi que leur importation depuis l’étranger. Est interdit aussi le financement de la conservation des gamètes par les employeurs, qui serait une brique supplémentaire vers le bébé parfait… et parfaitement planifié ! On échappe pour le moment également à la recherche systématique (la « traque » selon les mots du député Philippe Vigier) des anomalies chromosomiques par DPI. Jusqu’à quand ?

« Je défends une bioéthique de liberté », a déclaré Jean-Louis Touraine. « Oui, il y a une aventure humaine, et non, nous ne sommes pas seulement des fruits de la nature qui devons rester dans l’état de nature. » Les ciseaux génétiques chinois sont d’ailleurs en train d’inventer une humanité améliorée.

En revanche, la loi autorise la recherche sur les gamètes artificiels, dont la description fait froid dans le dos. Il s’agit de fabriquer des gamètes à partir d’autres cellules, avec des conséquences médicales sur la santé des futurs enfants hasardeuses, car on connaît mal la méiose (double division cellulaire) et ses implications. Les enfants pourront ainsi être conçus à partir de « parents » qui n’auront jamais vécu, comme des cellules souches embryonnaires prélevées sur des embryons détruits. Cela ouvre la voie au bricolage d’une homo-procréation « génétique » : si la création de gamètes à partir de cellules de la peau progresse, on pourra fabriquer un spermatozoïde à partir des cellules d’une femme afin qu’il féconde in vitro l’ovocyte de sa compagne. Bien sûr, aucun « risque » alors que le bébé soit un garçon ! Si vous ne croyez pas qu’un monde sans hommes soit le rêve de certaines féministes, lisez leurs blogs et réseaux sociaux – encore que, à la réflexion, cela pourrait vous faire perdre espoir en l’humanité.

L’embryon, matériau cellulaire

La deuxième partie, Du bébé sur mesure à l’embryon OGM, présente des techniques moins communes mais qui méritent d’être connues car elles posent de graves problèmes médicaux et éthiques.

La première technique présentée est celle de la FIV « à trois parents », rebaptisée par ses partisans « thérapie de remplacement mitochondrial », mise en œuvre pour la première fois au Brésil en 2016, et légale au Royaume-Uni. Je vous renvoie au livre et à ses annexes pour la description détaillée. Retenons qu’elle utilise les gamètes de trois personnes, deux femmes et un homme. Le prétexte évoqué est la possibilité d’éviter les maladies mitochondriales, dont une partie est transmise par l’ADN mitochondrial de la mère. C’est passer sous silence le fait que ce n’est le cas que pour une partie de ces maladies, tandis que la technique imaginée ne peut rien pour la majorité des cas. Les conséquences de cette cohabitation entre l’ADN de l’embryon et le troisième ADN utilisé (l’ADN mitochondrial) sont inconnues, aussi bien pour les enfants que pour les générations suivantes. L’étude que fait l’auteur de cette technique est très intéressante, que ce soit pour l’analyse de la manipulation du débat pour autoriser la technique au Royaume-Uni (cas d’étude pour observer les débats actuels !) ou pour l’intelligence avec laquelle elle anticipe les revendications qui naîtront avec le développement d’une telle technique.

Les enfants pourront être conçus à partir de “parents” qui n’auront jamais vécu, comme des cellules prélevées sur des embryons détruits.

Son analyse sur les risques de la technologie CRISPR est étonnante de lucidité si l’on considère qu’elle n’avait pas encore été appliquée à des humains au moment de la publication du livre. Il s’agit d’une sorte de couper-coller pour modifier l’ADN, utilisée pour la création d’OGM, et mise en œuvre sur des embryons humains en Chine fin 2018, à la stupéfaction générale. L’objectif est une amélioration par rapport aux caractéristiques naturellement héritées de l’espèce – dans le cas des bébés chinois, les immuniser contre le SIDA. Blanche Streb met en garde sur la dangerosité d’une telle technique, en raison des effets « mosaïques » en résultant, des modifications non voulues, non détectées et néfastes d’autres gènes, et les conséquences négatives imprévues d’une modification en apparence bénéfique (les « mauvais » gènes protègent parfois d’autres dangers !).

Elle pose également des questions sur le cadre légal autour de la manipulation des embryons, aujourd’hui assez vague et rédigé de façon à pouvoir évoluer. Bien que la loi actuelle n’autorise pas les techniques suscitées, les amendements les proposant ayant été rejetés, elle autorise la création d’embryons hybrides en partie humains, en partie animaux, dont les enjeux éthiques et médicaux sont présentés dans cette même partie.

L’évolution artificielle, triomphe technophile

Dans la troisième partie, Des lendemains qui déchantent, l’auteur s’interroge sur les conséquences pour les enfants conçus par ces techniques : sur leur santé physique (infertilité, malformations) mais aussi sur leur santé mentale. Elle étudie, par exemple, le poids que représente le fait d’avoir été conçu pour être un bébé sur mesure ou supposé parfait. Elle s’inquiète également des fractures sociales dans un monde où les plus privilégiés pourront fabriquer une « meilleure » descendance, et où certains porteront des différences considérées comme rendant une vie indigne d’être vécue pour les nouvelles générations.

La dernière partie, Un sursaut pour l’humanité, quoique moins informative, participe significativement à la valeur de ce livre en tant qu’outil de formation. Blanche Streb nous y fait part de ses inquiétudes sur les conséquences éthiques de la technicisation croissante de la procréation. Elle s’interroge sur la liberté des futurs parents, sur l’exploitation de la souffrance au mépris de la prudence et de la vérité. Elle fait appel à notre courage pour dire « non » à l’inacceptable et prendre conscience de notre responsabilité personnelle dans cette évolution. Elle nous livre un vibrant plaidoyer pour la nature humaine dans toute son imperfection, sa vulnérabilité, sa diversité. Enfin, elle nous appelle à humaniser notre regard sur l’embryon. Un appel d’autant plus urgent que la loi votée donne très peu de valeur à celui-ci : elle étend la limite de recherche sur l’embryon à son quatorzième jour, limite qui n’est pas anodine car elle marque le début de la différenciation des organes ; en autorisant la recherche sur les gamètes artificiels, elle prépare la création d’embryons « à volonté » (ce qui est moins rare sera fatalement moins précieux !) ; elle autorise les embryons chimères ; elle prévoit la destruction du stock d’embryons existants pour lesquels le donneur n’aura pas fait lui-même, dans les douze mois suivant leur création, la démarche pour autoriser la divulgation de son identité aux futurs enfants issus de son don.

Ce livre est donc plus que jamais d’actualité, par la clarté avec lequel il présente et analyse les techniques de PMA, par l’importance des enjeux pour le futur de notre humanité, et par le sérieux de la réflexion morale et anthropologique sous-jacente.

Par Marie Morgan

 

 Blanche Streb, Bébés sur mesure. Artège, 2018, 14 €.

 

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