Tribunes
Que faire ?
Adieu, mon pays qu’on appelle encore la France. Adieu.
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Au-delà de l’extension gratuite de la PMA au couple de même sexe, la loi tend à émanciper les enfants et installe les conditions d’une procréation étatique libérée de toute contrainte morale.
Le projet de loi bioéthique qui sera discuté au Parlement à partir du mois de septembre doit être qualifié de prométhéen puisque le Comité consultatif national d’éthique a estimé qu’une grande partie de cette nouvelle loi doit « avoir une influence sur le futur de l’humanité » ! De ce texte d’une grande complexité, qui noircit 72 pages, il faut essayer de dégager l’essentiel : la médecine n’a plus pour objet de soigner les personnes, les enfants ne sont plus que des objets pour le plaisir d’adultes irresponsables, et les chimères deviennent une réalité.
Jusqu’à présent, un acte médical avait officiellement pour but de soigner une pathologie et de soulager une souffrance non voulue. Avec l’article 1er de cette nouvelle loi, ceci vole en éclats. L’accès à la procréation médicalement assistée, qui était jusqu’à présent conditionnée à un critère pathologique d’infertilité, est en effet supprimé. Toute femme en âge de procréer peut y avoir recours, qu’elle vive avec un homme, une autre femme, ou seule. La PMA est ouverte à toutes. Acte médical (le M de PMA signifie « médical »). La PMA n’est plus subordonnée à une cause médicale. Il peut donc désormais y avoir, en droit français, des actes médicaux sans cause médicale. Subsidiairement, si l’on peut dire, s’agissant d’un acte médical, il sera remboursé par la Sécurité sociale. Quand on sait que l’insémination artificielle des femmes ne réussit pas à chaque fois, le critère d’efficacité retenu pour le remboursement des autres actes médicaux n’a plus lieu d’être.
Le droit français avance ainsi dans deux directions dont il est difficile de prévoir l’avenir : il peut désormais y avoir des actes médicaux sans cause ni symptôme médical ; la Sécurité sociale (pourtant déjà déficitaire) va pouvoir rembourser des actes dont l’efficacité n’est pas garantie, en contradiction frontale avec le motif utilisé par Mme Buzyn pour ne plus rembourser l’homéopathie !
Comme il fallait donner les mêmes « droits » aux enfants issus d’une PMA et aux enfants nés de relations entre parents qui s’aiment, sans pour autant réécrire complètement le code civil, on a imaginé de dénaturer la filiation en créant une « double filiation maternelle ». Et, pour préserver cette égalité entre les deux types de filiation, on écrit un nouvel article principiel dans le code civil, dont les conséquences pourront être étendues, en tant que de besoin, par la jurisprudence. Cet article rattache un enfant à la famille de chacun des parents légalement déclaré. La filiation biologique ne devient donc plus qu’un mode de filiation parmi d’autres.
L’enfant, ainsi conçu, sera privé de père mais sera légalement le descendant de deux « mères », dont il pourra porter les deux noms accolés. Désormais, en France, les femmes jouissent d’un droit à l’enfant que ne manqueront pas de revendiquer les hommes (la GPA). Pour en arriver là, les deux femmes qui auront un projet parental devront, avant la naissance du bébé, passer un contrat devant notaire pour acter leur volonté commune. La copie de ce contrat figurera en marge de l’acte officiel d’état civil. En inventant cette « déclaration anticipée de volonté », on met donc en place un système dans lequel la mère qui enfante n’a pas plus de droit (ni de devoir) vis-à-vis de l’enfant que l’autre « mère », qui n’est en réalité que la compagne du moment.
Il apparaît clairement que le législateur a conscience du fait que le système qu’il cherche à mettre en place n’a rien de naturel et que personne ne s’en montrera fier. Sinon il n’aurait pas prévu que « le couple ou la femme non mariée accueillant l’embryon et le couple ou la femme non mariée y ayant renoncé ne peuvent connaître leurs identités respectives ». Que se passera-t-il si cet enfant, devenu adulte, demande à connaître l’identité de ses parents biologiques ? Faudra-t-il le lui refuser de peur que cela n’entraîne la révélation de l’identité des donateurs aux « bénéficiaires » ?
Cette loi vient compléter une autre « avancée sociétale » récente. Après avoir considéré qu’une jeune fille de 13 ans pourrait être « consentante » dans des rapports sexuels avec un adulte, la nouvelle loi vient une fois de plus amputer la responsabilité des parents. En effet, l’article 21 précise que « si la femme mineure non émancipée désire garder le secret » d’une grossesse à laquelle elle désirerait mettre un terme, elle pourra le faire. Bien plus, si elle garde le secret, mais aussi si elle n’obtient pas le consentement de « l’une des personnes investie de l’exercice de l’autorité parentale », elle pourra se faire avorter. « L’interruption de grossesse pour motif médical ainsi que les actes médicaux et les soins qui lui sont liés peuvent être pratiqués à la demande de l’intéressée. Dans ce cas, la mineure se fait accompagner dans sa démarche par la personne majeure de son choix ». Gageons qu’elle trouvera sans difficulté des « personnes majeures » prêtes à l’accompagner dans les centres de planning familial. Mais que reste-t-il de la responsabilité des parents ?
Le projet de loi fait aussi évoluer le champ de la recherche embryonnaire. Il commence par distinguer entre la recherche embryonnaire, toujours « encadrée », et la recherche sur les cellules souches embryonnaires qui ne feront plus l’objet que d’une simple déclaration. Il s’agit purement et simplement d’une inqualifiable hypocrisie : les cellules souches embryonnaires sont bel et bien issues d’un embryon, qu’il a donc fallu commencer par tuer. Il est donc faux d’affirmer, comme le fait l’exposé des motifs, que la recherche sur les cellules souches embryonnaires ne conduit pas au « même questionnement éthique » que la recherche sur l’embryon. Outre son caractère délibérement fallacieux, l’argument ne tient pas dans la mesure où tous les progrès qui ont été réalisés grâce à la recherche sur les cellules souches l’ont été à partir de cellules souches pluripotentes induites issues de la peau.
Pire que tout – si cela est encore possible – le projet de loi vise à modifier hypocritement l’article L.2151-2 alinéa 2 du code de la santé publique. Celui-ci est clairement rédigé depuis la loi du 7 juillet 2011 : « la création d’embryons chimériques est interdite ». Le nouveau projet de loi propose de lui substituer la rédaction suivante : « La modification d’un embryon humain par adjonction de cellules provenant d’autres espèces est interdite ». Cette nouvelle rédaction autorise donc, sans oser le dire explicitement, la modification d’embryons animaux par des cellules humaines. Examinant le projet de loi, le Conseil d’État s’est lâchement contenté de remarquer que cela est susceptible de « soulever des questionnements éthiques ». Quant au CCNE, il n’a rien proposé d’autre que d’encadrer ces recherches, « en particulier si les embryons chimériques sont transférés chez des femelles et donnent naissance à des animaux chimériques ». Demain, n’en doutons pas, la France en viendra à autoriser la greffe de cellules animales sur des embryons humains. La Chine dit l’avoir déjà fait et le Japon l’a officiellement autorisé. Dans ce dernier pays, on affirme que « si la surveillance postnatale des animaux ainsi modifiés conduit à constater un taux de cellules humaines supérieur à 30 % dans le cerveau des animaux, l’étude sera interrompue » (J.F. Binet, Le Figaro, 14 août 2019). En sera-t-il de même si le taux de cellules animales adjointes à un organisme humain dépasse 30 % …?
En tout cas, ce que ne dit pas le projet de loi, c’est que si la PMA se développe, nous allons nous trouver en présence d’embryons surnuméraires qui ne correspondront pas à un projet parental (puisque, dans le cas de la fécondation in vitro, compte tenu du taux d’échec, on féconde plusieurs œufs). Il serait dommage de ne pas les utiliser !
Compte tenu des principes retenus dans ce projet de loi, on voit mal comment une nouvelle étape ne conduira pas, à brève échéance, à la gestation pour autrui (GPA). La rédaction même du nouvel article L. 2141-2 du code de la santé publique y conduit, qui est rédigé de façon à organiser une rupture d’égalité entre d’un côté les couples formés « d’un homme et d’une femme ou de deux femmes » et ceux formés de deux hommes. Mais le projet de loi ouvre aussi des pistes vers l’expérimentation de l’utérus artificiel. La prochaine loi bioéthique pourra ainsi organiser la fabrication d’enfants anonymes que l’État pourra faire élever sous sa seule responsabilité ou vendre au plus offrant.
Encore heureux que ce projet de loi n’ait pas eu pour but avoué d’aller vers le moins-disant éthique comme l’a justifié Mme Buzyn, mais, il faut bien le constater, elle entraîne sur cette pente à une vitesse vertigineuse.