Civilisation
À la recherche du XVIIIe siècle
Le père de Berthe Morisot, préfet à Limoges, y créa un musée des Beaux-Arts. Une des premières œuvres données fut un ravissant portrait de Nattier.
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Versailles aurait pu devenir un palais sévère et monumental, beau comme un ministère des finances dans le goût de l’antique. Alexandre Dufour et Pierre Fontaine avaient dessiné, en 1810-1811, un projet de façade qui fascine comme les architectures surdimensionnées des années 30. Louis XV, Louis XVI, Napoléon… Tous, jusqu’à Louis-Philippe, voulurent transformer radicalement Versailles afin de lui faire refléter les enjeux de l’époque. Et le Versailles que nous observons n’est-il pas déjà le fruit de changements, dès Louis XIV et jusqu’à cette grille aujourd’hui “restituée” (en 2008) ? En partie détruite sous Louis XV, fondue à la Révolution, réinventée au XXIe siècle, elle témoigne des avatars de ce chantier gigantesque sans cesse repris et abandonné.
L’exposition « Versailles. Architectures rêvées 1660 – 1815 » nous offre tous les projets qui ne virent pas le jour. Hardouin-Mansart lui-même “plancha” sur le sujet, imaginant en 1684 de surélever tout le château qui aurait ressemblé à une gigantesque cour carrée du Louvre : passé de lieu d’agrément à siège de la cour et du gouvernement, il était normal que le château s’adaptât. Mais quels détours ! Le roi change d’avis, les architectes rivalisent, les finances manquent. Versailles est un monde qui se révèle peu à peu, une terre qui connaît ses déluges, un projet qui finit par avoir sa propre course, son dynamisme. L’exposition nous entraîne dans ce qui aurait pu être et dans ses vicissitudes. L’agence des Bâtiments du roi propose des chapelles de plus en plus grandes, et on cherche aussi sans cesse le théâtre idéal, quitte à monter d’éphémères salles de spectacle. Le jardin lui-même, régulièrement réaménagé, excite l’imagination des architectes qui rêvent de concurrencer le bâtiment principal : Nicodème Tessin imagine un pavillon d’Apollon, bibliothèque et musée, à l’autre bout du Grand Canal, aussi grand que la façade du bâtiment central…
C’est que Versailles appelle le gigantisme. Ange-Jacques Gabriel, à qui on doit le Petit Trianon et l’Opéra royal, proposera obstinément à Louis XV, trente ans durant, un Grand Projet qui n’aura que le temps de débuter. Seule l’aile dite Gabriel sera construite. Louis XVI à son tour se retrouve avec un palais qui accumule plus d’un siècle de tentatives, de remaniements, de repentirs et de projets jamais menés à terme. Il lance un appel à idées avec le comte d’Angiviller, directeur général des Bâtiments, Arts, Jardins et Manufactures de France. L’esprit du moment s’y exprime à plein : tout détruire et ne proposer que colonnades gigantesques, façades démesurément allongées et intérieurs modernisés. Etienne-Louis Boullée imagine un palais qui n’est qu’une caserne monstrueuse, si étendue et si raide qu’elle en paraît aplatie. Marie-Joseph Peyre, lui, veut rivaliser avec Le Bernin et sa colonnade engloutirait celle de Saint-Pierre de Rome. Quant à son développé des façades « du côté de la ville » (c’est le grand défi car, “côté jardin”, le palais présente le visage uni de l’Enveloppe de Le Vau alors que, “côté Paris”, il paraît brouillon), c’est un long ruban qui aligne cent fenêtres de rang, multipliées par quatre étage. L’État, pour ces Modernes, est impressionnant, gigantesque, imposant, austère, rigide, éloigné. On marche vers le palais pour finir à ses pieds, écrasé par sa masse et sa hauteur. Fontaine et Dufour n’en sortiront pas, et ce n’est pas le style de gouvernement de Napoléon (qui s’enthousiasmait pour le Kremlin…) qui aurait pu les en dissuader.
Alexandre Gady, dans le catalogue, nous révèle le secret qui dissuada Louis XV et Louis XVI, maîtres d’ouvrage, de se lancer dans l’orgueil d’un totalitaire château total : « Entre la fadeur de l’architecture démocratique et la folie de l’architecture du tyran, le roi, point d’équilibre, doit être un créateur à sa façon. » Il arbitre entre le passé qu’il entend sauvegarder, les exigences du présent et les promesses de l’avenir. Le Versailles qui reste est celui-là. Il nous paraît assez satisfaisant.